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Zakaria Carlsen
Zakaria Carlsen
humanité embrasée
Personnage
Arrivée : 22/01/2020
Missives : 1318
Pseudo : Neventer
Avatar : Timothy Granaderos
Crédits : Neventer (av. ; aes) Nanami & Awona (cs) ; Suskind (sign.)
Thèmes abordés : Violence verbale, troubles anxieux
Infos RP : Rythme rapide (livraison en 2 jours ouvrés) ; 800 mots en moyenne ; répliques fr/eng au choix selon lea partenaire ; indisponible
Comptes : Marko & Ridwan
Points : 7400
Vestiges. AES-PROFIL-TROGNE-3
Pronoms rp : Il ; he ; him.
Âge : 35 ans (10.01.88)
Occupation : Gérant du Deep Blue, barman depuis presque quinze ans et kickboxeur.
Statut : Voyage dans les abysses, les ventricules déchirés, l'abandon de son âme soeur lui ayant laissé qu'un pan de leur vie à deux. Sa moitié a quitté la Reine des Glaces, le désormais père célibataire tente d'aligner son quotidien à l'éducation de sa fille âgée de seulement deux ans.
Famille : Il est membre de la Rébellion de Sowilo et ce depuis 2006. Recruteur depuis 2015.
Hors-rp

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Message Jeu 29 Oct - 0:19



Zakaria ❝ Zak ❞ Carlsen






❝ Subtle your lines fading away. Just a shadow of your memory haunts the inside of my brain. So dull, my skin is turning gray. Changing colors don’t forget me. I swear that I’m still the same but you can’t see me. I’m blending in so quick every little bit is filling in. ❞

Blend, Trauma Ray





The beginning of the end
Contents




Chapter I ☾
There's no place like home.

Chapter II ☾  
The Carlsen Orphans.

Chapter III ☾
Close to your heart.

Chapter IV ☾  
La Rébellion de Sowilo.

Chapter V ☾  
Stop somewhere.

Chapter VI ☾  
How did I survive?

Chapter VII ☾  
For better or for worse.



Fifty Questions
No justice, no peace




1. Si tu étais un animal, tu serais... un lycaon.
2. Si tu étais une plante (fleur, arbre...)... la sauge.
3. Si tu étais un élément... l'air.
4. Si tu étais une pierre précieuse ou non... un rubis.
5. Si tu étais une saison... l'été.
6. Si tu étais un moment de la journée... le crépuscule.
7. Si tu étais un des cinq sens... le toucher.

8. Si tu étais un pays... le Kurdistan.
9. Si tu étais une ville... Afrin.
10. Si tu étais une planète... Jupiter.
11. Si tu étais un paysage... une vue sur le temple de Bêl à l'aube.
12. Si tu étais une pièce de la maison... un salon.
13. Si tu étais un objet du quotidien... un livre.
14. Si tu étais un véhicule... une Mustang fastback de 1968.
15. Si tu étais un vêtement... une paire de vans sk8 Hi.

16. Si tu étais un livre... La Horde du Contrevent, Alain Damasio (2004).
17. Si tu étais un personnage de fiction... Sacha Soukhoï dans Metro 2033, Dmitri Gloukhovski (2005).
18. Si tu étais un mot... Angst (l'angoisse).
19. Si tu étais un film... Le Nom de la Rose, Jean-Jacques Annaud (1986).
20. Si tu étais une personnalité... Louise Michel.
21. Si tu étais un dessin animé... Gargoyles (1994).
22. Si tu étais un super pouvoir... la pyrokinésie.
23. Si tu étais une créature légendaire / imaginaire... le berserker.
24. Si tu étais une série... The Witcher.
25. Si tu étais une chanson... Blend, Trauma Ray.
26. Si tu étais un style de musique... le shoegaze.
27. Si tu étais un instrument de musique... une batterie.
28. Si tu étais un tableau... Les Casseurs de Pierres, Gustave Courbet, 1849.
29. Si tu étais un art... la littérature.
30. Si tu étais un événement historique... la Commune de Paris (18 mars 1871 – 28 mai 1871).

31. Si tu étais un plat... un tajine de légumes.
32. Si tu étais un dessert... un crumble aux abricots.
33. Si tu étais une friandise... des Makrouds.
34. Si tu étais un fruit... une cerise.
35. Si tu étais une boisson... de la bière.
36. Si tu étais une odeur... celle des livres.

37. Si tu étais un loisir créatif... l'écriture.
38. Si tu étais un sport... le kickboxing.
39. Si tu étais une fête... Samhain.
40. Si tu étais la lettre idéale... A.
41. Si tu étais de la papeterie ou un accessoire de papeterie... un stylo roller.

42. Si tu étais un chiffre ou un nombre... 2.
43. Si tu étais un bruit... la tempête.
44. Si tu étais une devise... Pas de justice, pas de paix.
45. Si tu étais une langue étrangère... l'Arabe.
46. Si tu étais une mauvaise habitude... louper le réveil.
47. Si tu étais une qualité... la persévérance.
48. Si tu étais un gros mot... Fuck.
49. Si tu étais une émotion... le bonheur.
50. Si tu étais un plaisir... sexuel.



A song for our fathers
Playlist




Trauma Ray ☾
Blend
on [Trauma Ray] ; 21 septembre 2018.

God is an Astronaut ☾  
All is Violent, All is Bright
on All is Violent, All is Bright ; 01 janvier 2005.

Drab Majesty ☾
Cold Souls
on The Demonstration ; 20 janvier 2017.

Explosions in the Sky ☾  
A Song for our Fathers
on How Strange, Innocence ; 11 octobre 2005.

Turnover ☾  
Dizzy On The Comedown
on Peripheral Vision ; 04 mai 2015.

HEALTH ☾  
Slaves of Fear
on VOL. 4 :: SLAVES OF FEAR ; 08 février 2019.

Foals ☾  
Birch Tree
On What Went Down ; 28 août 2015.

Birds in Row ☾  
Love is Political
On We Already Lost The World ; 13 juillet 2018.

Weed ☾  
Heall
On Deserve ; 10 septembre 2013.

Basement ☾  
Stigmata
On Beside Myself ; 12 octobre 2018.

The Black Heart Rebellion ☾  
Crawling Low and Eating Dust
On Har Nevo ; 18 janvier 2013.




Zakaria Carlsen
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Message Jeu 19 Nov - 17:11



There's no place like home
Rebekka Pedersen & Sir Horace Walpole




Deux mille cinq
L’école secondaire de Senja et le brouhaha assourdissant de ses couloirs, ses rires au détour de chaque croisement et l’agitation de sa jeunesse encore insouciante et naïve. Deux invisibles dans la foule, mais deux regards qui s’accrochent sans véritable hasard. Le sien est différent. Il ne dévisage pas les quatre orphelins qui passent la grille de l’établissement avec le poids de quatre vies sur leurs épaules à quinze et treize ans. Les esclaves Carlsen, un sobriquet auquel nous nous sommes habitués. Un nom et un adjectif que nous avons intériorisés jusque dans les profondeurs de nos organes. Les regards savent, mais les bouches sont scellées. Personne n’oserait contredire les méthodes barbares de cette famille dorlotée par Hel, si bien intégrée à la Caste de la Tourmente et c’est peut-être pour cette raison que nous n’avons pas été seuls, parmis tous ces gamins.

Il fallait être aveugle pour ne pas percevoir la souffrance de chacun d’entre nous. Nous avons développé des personnalités différentes, mais qui se joignent dans la finalité, comme une fratrie de sang. À chaque caractère, sa carapace. Lev était toujours le plus distant, celui qui s’exprimait le moins, mais la haine brûlante dans le regard ne trahissait personne. Magda n’a pas vraiment changé, insolence sur le bout de la langue et fierté scintillante dans les prunelles. Apollo, lui, pouvait faire preuve de docilité et de diplomatie, mais lorsqu’il se roulait en boule comme un hérisson, il pouvait repousser les prédateurs les plus coriaces… jusqu’à ce que les disciples de Freyja ne l’emportent. Quant à moi, je ne faisais confiance à personne, perçu comme le traître d’une Caste à laquelle je refusais d’appartenir à la seconde où on m’y a contraint onze ans plus tôt. Indiscipliné et sauvage malgré une certaine implication dans mes études, le seul avenir qu’on m’a réservé ne m’aurait pas permis de voler de mes propres ailes. Je devais servir Hel ou mourir.

Si elle avait pu se réfugier dans un petit trou de souris ce jour-là, nul doute qu’elle l’aurait fait. Agnelle perdue au milieu des loups, persévérance, perspicacité et curiosité l’ont conduite à rejoindre l’année supérieure, quittant sa zone de confort dans l’intérêt de bouleverser et accroître ses acquis. Angoisse dans l’ambre de son regard, elle se présentait avec une voix hésitante devant une vingtaine de paires d’yeux. Quand l’un croisait les coudes sur sa table et reposait nonchalamment son menton sur ses mains pour mieux écouter, l’autre pouvait faire avancer le cours en rebondissant plusieurs fois sur les explications de l’enseignant. Un jour, les loups étaient aléatoirement groupés par paires tandis que l’un d’eux devait former le duo le plus improbable avec l’agnelle.

Je n’avais aucun aprioris malgré la distance que j’imposais naturellement entre elle et moi. Je savais ce que c’était que d’être relégué au rang de marginal contre son gré, or mon attitude pouvait passer pour de l’orgueil au premier abord. Elle faisait preuve d’une grande patience malgré les manquements à mes devoirs lorsque nous nous retrouvions pour étudier. Elle n’utilisait pas sa curiosité à mauvais escient, elle ne m’interrogeait pas sur les coquards, les écorchures ou les cernes opaques. Elle ne m’a jamais demandé pourquoi il nous était impossible de nous retrouver dans la demeure des tortionnaires, parce qu’elle savait. Bien qu’elle approchait seulement de ses quatorze ans, elle avait déjà une idée bien plus aboutie de la vie que menaient les orphelins Carlsen à l’inverse de beaucoup d’autres adolescents qui fermaient les yeux parce que leurs parents le leur demandaient ou tout simplement parce qu’il était plus simple de réinventer l’histoire de quelques jeunes qu’on ne connaît pas.

Chassés de la bibliothèque en plein automne sans plan de secours, Rebekka Pedersen avait proposé son antre en dernier recours. C’était la première fois que je visitais la demeure d’une famille qui n’était liée à aucun monde. Je me souviens de la chaleur d’une famille unie. Une mère infirmière qui avait l’habitude de partir tôt le matin et de rentrer tard le soir ou l’inverse ; un père affecté au counseling de la Brigade North de l’armée Norvégienne et qui ne manquait pas une soirée auprès de sa famille, loin de son poste. Malgré la lourdeur de leurs responsabilités à l’échelle professionnelle, ils n’en étaient pas moins présents pour leur fille unique. L’appartement des Pedersen était comme un nid dans lequel le temps et l’espace n’avaient plus aucun lien avec l’extérieur. Il m’est même arrivé d’être convié à leur table, parce qu’ils savaient. Lian était sur la réserve et ne s’autorisait à rebondir sur les questions de son mari que lorsque celui-ci s'aventurait dans les méandres de ma vie d’adolescent misérable. Je ne libérais des informations qu’au compte goutte, je savais que les retombées seraient catastrophiques si nos discussions sortaient de table. Il leur a fallu peu de temps pour comprendre ce que moi et mes frères et soeurs vivions. Ils savaient que s’ils ne m’invitaient pas à partager leur repas, je n’aurais pas le droit de rentrer chez moi par la porte d’entrée, n’ayant jamais pu disposer d’un jeu de clés dont les doubles étaient jalousement gardés par les aînés Carlsen. Je devais croiser les doigts pour que Apollo et Lev pensent à ne pas verrouiller la fenêtre de notre chambre pour que je puisse m’y glisser à mon retour.

Les jours passent et se ressemblent. Lorsque Senja se couverait de son manteau blanc, au coeur de l’hiver, la tension ne cessait de grimper dans la lugubre demeure d’Harald et Turid. Apollo avait laissé un lit vide derrière lui lorsque Freyja l’a emporté et c’est peut-être l’une des raisons qui a un peu plus bousculé le révolté que je suis encore aujourd’hui. Je ne suis pas monté me coucher ce soir-là, j’ai claqué la porte pour la nuit et après des heures à errer dans les rues de Senja, je me suis naturellement dirigé vers Treby. Je ris encore au souvenir de mon geste visant à attirer l’attention de Rebekka sur l’extérieur. Un jeté de cailloux à sa fenêtre et une réplique qui résonne encore aujourd’hui « Are you for real? Could you try to be even more cliché? »

Emmitouflée dans une couverture, c’était sous un croissant de lune que nous nous sommes assis. « Why don’t you try to get a better future? » « What future? » Je n’avais aucune idée de ce que je serais devenu, ma question est restée en suspens. À cette époque, personne n’aurait pu savoir ce que nous, les orphelins, serions devenus. Naturellement, nos regard étaient attirés par la lune et après une énième boutade, nous cessions de parler. Je suppose que nous ignorions jusqu’où le premier baiser qui suivit nous aurait conduit.

Seules Solvi et Magda avaient connaissance de cette union dans laquelle nous redoublions d’efforts afin de la préserver au maximum. Aucune approche en public, nous n’étions que des adolescents parmi les autres, nous travaillions ensemble, mais sans approche, de sorte à ne pas éveiller de quelconques soupçons dans les esprits de nos camarades. Cette relation n’avait rien de commun et dans la sphère privée, elle avait même son lot de rebondissements, tous générés par les tordus qui avaient obtenu ma garde. Je venais de fêter mes seize ans, je pouvais donc être soumis au prêt. Objet de la Tourmente, je pouvais servir aux expérimentation de plus jeunes surnaturels de leur Caste. Il devait avoir le double de mon âge, il était artiste et son don lui permettait de marquer les épidermes. Que je ne sois qu’un gamin à cette époque n’est pas un détail qui l’a pas fait reculer. Il a d’abord testé son art sur mon dos alors que j’étais fermement suspendu par les bras par des chaînes, la pointe des pieds frôlant à peine le sol. C’était simple, au début, de souffrir en silence sitôt que la durée du prêt touchait à sa fin, mais plus le surnaturel prenait en expérience, plus il m’était difficile de dissimuler la profondeur des plaies. Je ne voulais pas que mon frère et mes soeurs découvrent les atrocités que l’avenir leur réservait en cas d’écart de conduite, c’était donc chez les Pedersen que je trouvais l’aide et le soin dont jamais besoin.

Les Carlsen m’ont privé de la fin de ma scolarité au lycée et de la plus belle chose qui me soit arrivée jusque-là. Nos habitudes bien ancrée s’étaient assouplies et nous étions moins vigilants, Rebekka et moi. Le secret s’était étendu sous les yeux de Mariska qui, malgré les quelques menaces qu’elle proférait, ne les aurait jamais porté à terme et acceptait donc de se taire. En revanche, elle n’était pas à l’abri de subir les remontrances des aînés et sous la pression, la plus jeune de la fratrie a craqué. Harald et Turid étaient à présent au courant et, considérant que la double vie que je menais ne leur convenait pas. Leur décision était de me couper de mon activité principale, l’endroit où je pouvais côtoyer ma distraction tous les jours. Je suis devenu fossoyeur au cimetière de Hel, assigné à la fosse commune.

Dissimuler les bleus, les écorchures, les fractures parfois, c’était un jeu d’enfant, mais les plaies profondes demandaient moins de négligence. Et peut-être que Rebekka comprenait pourquoi il m’arrivait de manquer des journées entières d’école, mais surtout, que je ne me laissais pas toucher. Alors, lorsqu’il avait fallu panser l’horreur, Lian Pedersen se retrouvait démunie devant un adolescent agité qui bondissait chaque fois qu’un coton entrait en contact avec sa peau. Je ne sais plus s’ils ont trouvé les mots ou les gestes susceptibles de m’apaiser, je revois Henrik me tenir fermement l’épaule tandis qu’il nettoyait chacune des scarification et tentait tant bien que mal de ralentir les saignements. La patience adoucit tout mal sans remède. Sans elle, je ne me serais probablement jamais laissé couper les cheveux, ni approcher de près par la seule personne qui m’offrait l’affection démesurée que je n’avais jamais connu jusque là à tel point qu’il m’était arrivé de me fermer devant tant d’attention, conditionné à croire que je ne la méritais pas.

Les habitudes se sont installées dès notre premier été ensemble, où Niklas Østerberg s’est lui-même frayé un chemin jusqu’à mon affection et ma confiance. C’était la première fois que les Pedersen confiaient leur demeure à leur fille pendant leur absence et il est bien inutile de préciser que je m’y réfugiais chaque fois qu’il m’était possible de le faire. Il nous est même arrivé de marquer nos souvenirs sur nos peaux et bien que je n’étais pas à l’aise avec cette idée compte tenu de mon passif avec les marquages indélébiles, Rebekka a tracé un croissant de lune à l’aiguille et à l’encre de chine au niveau de mon talon, tandis que le sien est à peine visible sur sa nuque, sous ses longs cheveux bruns. À seize et dix-sept ans, nous redoutions l’opinion de nos aînés. Il semblerait qu’il s’agit encore d’un secret que nous nous gardons de révéler ou de raconter encore aujourd’hui.

Deux mille huit
Bien qu’au bout du fil, Mahaut me répétait de fuir et de refaire ma vie en dehors des remparts de Senja, il m’était impossible d’imaginer Rebekka loin de ses parents. Chaque fois que j’échafaudais un plan dans l’intérêt de m’émanciper de force du joug des Carlsen, je revenais chaque fois au même point : je ne pouvais pas la priver d’un avenir brillant, celui qui la faisait rêver. Pourtant, elle savait que je ne vivais plus. Je survivais. Les Delauney, également disciples de Hel, cherchaient leur fille partout et ils savaient que nous étions proches. Sa mère, folie, m’a loué quelques fois dans l’intérêt de pouvoir me faire cracher le morceau quant à l’endroit où se terrait Mahaut. Si les précédentes tortures m’ont endurci, celles qui ont affecté mes facultés cognitives me donnent encore des sueurs froides douze ans plus tard. Disons que mon environnement n’était pas des plus propices pour chasser les ombres oppressantes qui se glissaient sur mes rétines à n’importe quel moment de la journée. Je voyais des choses, entendais des voix et je me voyais aussi. Je voyais une autre facette de ma personnalité, un jeune homme chaotique et insensible, démonial au possible. Aux abords de Litha, les célébrations du solstice n’ont été qu’un prétexte pour mettre les voiles. Je me rappellerai toute mon existence du déchirement dans les yeux de Magda et Solvi lorsque je les aies quittées. Rebekka n’en a rien su, je ne lui ai jamais dit. La crainte qu’elle me suive et ruine sa vie à son tour me broyait les entrailles autant que l’idée de ne jamais la revoir. J’étais néanmoins habité par l’espoir qu’elle m’attendrait. L’espoir égoïste qu’elle mettrait sa vie entre parenthèses pour moi.

Louée soit la Lumière du sol et le climat tempéré de Senja l’été. Je serais probablement mort frigorifié si j’avais quitté la demeure familiale en hiver. Je serais aussi mort de faim, si Henrik Pedersen ne m’avait pas retrouvé dans les rues de la ville. Contrairement aux procédures de recrutement strictes qui sont nécessaires pour protéger la Rébellion d’éventuels intrus, il savait que j’y avais ma place et que mon passif avait un seul point positif : je pouvais garder le secret et ainsi préserver les vies déjà investies dans la lutte contre les oppresseurs. Ces nombreux tête à tête avec mon recruteur m’ont permis de lui raconter la vérité bien qu’il était sceptique à l’origine, me martelant que j’ai brisé le coeur de sa fille. Peu de temps avant sa disparition, il m’a fait entendre que mes raisons étaient valables. Le père de Rebekka ne m’a pas seulement proposé un avenir, il m’a aussi offert une famille et de quoi survivre loin de la torture. Après plusieurs semaines d’errance, la Rébellion s’est découverte devant moi et mon recruteur soignait déjà mes plaies bien avant que que je ne gagne les rangs de l’organisation. Barman dans le bar huppé du centre ville, sous lequel siège la rage des humains luttant contre la suprématie surnaturelle, je me complaisais dans cette routine. Les jours passaient et se ressemblaient. Parfois, ils étaient entrecoupés de sentiments nostalgiques qui me poussaient à remettre un pied dans le passé. Je souris en m’imaginant repasser par-dessus la haie de son jardin pour observer la lumière à sa fenêtre jusqu’au jour où son père m’a annoncé son départ pour Stavanger.

Deux mille onze
Perdre Henrik était très certainement le plus gros coup dur que nous ayions subi à la Rébellion à cette époque. J’avais la sensation qu’on m'avait privé du seul lien rassurant qui me permettait de garder un oeil sur le passé et sur celle que je ne parvenais pas à oublier. Elle hantait mes rêves, parfois il m’arrivait de freiner une impulsion qui m’aurait conduit droit devant sa porte. Je m’étais octroyé un seul écart en déposant un mot à sa porte, griffonné sur un bout de papier. I’m sorry for everything. Z. Je ne pouvais pas sonner, je ne pouvais pas l’attendre, je ne pouvais non plus manquer de respect à mon mentor en oubliant volontairement ses funérailles, ignorant sa mort comme un ingrat. Six mots sur un vulgaire morceau de feuille, six mots qui lui ont redonné espoir alors qu’elle se liait à un homme pour étouffer sa solitude.

Dans la mort, les retrouvailles. Niklas, perdu de vue depuis ma disparition, s’est habitué à venir s’installer au Deep Blue après son shift à la librairie. C’était lui, mon mouchard et c’était lui aussi qui, en me relatant les faits et gestes de Rebekka, m’avait brisé le coeur en retour. Rebekka et son père, Rebekka et Markus, Rebekka enceinte, Rebekka se marie. Niklas se laissait lentement drainer par sa rage à mon comptoir et, entre nous, nous nous sommes privés de ce sujet de conversation pour le bien de nos états d’âme.

Deux mille vingt
Douze ans. Douze années pour se retrouver et le hasard nous a reconduit sur le chemin que nous avons quitté contre notre gré. C’était étrange que de renouer avec la seule personne qui n’a jamais quitté mes pensées et qui, malgré le temps qui s’écoule, resurgissait aléatoirement dans mes rêves. Cependant, le poids des remords pèse lourd et lorsqu’elle a passé la porte du Deep Blue en janvier de cette année, je me suis senti défaillir. À l’extérieur, j’étais pétrifié, comme si je revoyais un fantôme. Toute ces années, j’avais cru être le seul à pouvoir la retrouver, mais Rebekka, armée de hasard, est une personne redoutable. Quant à elle, le deuil grignotait doucement sa joie de vivre et sa nouvelle union était plus bancale que celle que Niklas m’avait décrit bien qu’il s’était montré hargneux dans son récit. Si Markus n’était pas intervenu ce jour-là, où en serions-nous ? Je ne lui aurais rien promis et peut-être que Rebekka aurait fait un nouvel écart, impardonnable aux yeux des autres, indispensable pour être heureuse. Nous ne pouvions pas nous voir, mais personne ne nous empêchait de nous appeler. Il m’est souvent arrivé de décrocher et de l’entendre raccrocher immédiatement.

Cette île est vraiment étrange. Elle vous atomise lorsque vous êtes heureux et vous rabiboche avec le bonheur lorsque vous souffrez. Il a fallu que Markus meurt et que je me fasse tirer dessus pour que Rebekka émerge à nouveau dans ma vie. Tout juste veuve, respecter ma promesse à Markus était un défi que je ne pouvais plus tenir. Combien de fois ai-je voulu honorer les morts en respectant leurs volontés ? J’ai manqué à celui-là. Et le pire étant que je ne regrette rien. Comme deux aimants qui s’attirent, même en s'acharnant, vivre l’un sans l’autre relève de l’impossible et c’est aussi pour cette raison que lorsqu’elle m’a confié un double de clés de son appartement, je n’ai pas réfléchi deux fois pour accepter son invitation.

Tout est plus simple, désormais. Nous partageons beaucoup de choses, Rebekka m’a terriblement manqué. Réapprendre de l’autre n’est pas aussi compliqué qu’il n’y paraît, surtout dans une relation telle que celle-ci, ou s’oublier n’était pas envisageable ni possible. Je réalise qu’un vide immense s’était creusé en m’éloignant. Un vide qu’elle a pu combler avec une facilité déconcertante. Bien qu’il reste des zones d’ombres, notamment en rapport à la Rébellion, tout se saura un jour. Tout finit toujours par se savoir. En attendant, nous reconstruisons un empire sur les vestiges du passé et je n’ai aucun doute quant à la solidité de nos fondations. J’ose espérer que toutes les menaces ont été écartées jusque là. L’espoir semble bien décidé à nous guider et nous offre parfois quelques surprises, à grand renfort de hasard. Sir Horace Walpole, dit Race, abandonné avec son frère dans la benne à ordure longeant le mur du Deep Blue dans la ruelle avoisinant le bar, est un exemple de douceur que le quotidien a à nous offrir depuis quelques temps, au milieu du foutoir dans lequel nous cherchons à mettre de l’ordre. En rentrant en pleine nuit avec le chaton noir dans les bras, je m’attendais à voir un sentiment d’attendrissement sur le visage de Rebekka, mais la réalité était beaucoup plus satisfaisante. C’est en redécouvrant sa personnalité que je me suis convaincu qu’elle étouffera ses démons avec patience et persévérance, ce qu’elle a toujours incarné à mes yeux.

Sans le bonheur des autres,
nous ne pourrions pas être heureux nous-même.



Zakaria Carlsen
Zakaria Carlsen
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Message Jeu 19 Nov - 17:13



The Carlsen orphans
Apollo, Magda, Lev, Solvi & Mariska




Tristesse que de devoir lutter pour empêcher les souvenirs de s’estomper. L’envie, le besoin de se rappeler du passé, des origines, de la chaleur d’un foyer aimant, de parents attentionnés, d’une sécurité sur laquelle se reposer, grandir comme un enfant normal… Nous sommes six à avoir connu un tout autre schéma. Un schéma qui a laissé ses marques sur nos peaux, dans nos cœurs, jusque dans les profondeurs de nos âmes. Chacun.e a vécu son calvaire à sa manière, mais aucun.e de nous ne l’a digéré. Il y a fort à parier que cela n’arrivera jamais. Les orphelins Carlsen seront toujours poursuivis dans leurs cauchemars par les mains de Manipulation et de Persuasion. Nos racines sont toutes différentes et même si nous ne sommes pas liés par le sang, même si nos désaccords mènent parfois à des conflits ravageurs, nous sommes une fratrie unie par la souffrance et le joug de nos tortionnaires qui ont fait ce que nous sommes toustes aujourd’hui : des survivants.

Harald et Turid Carlsen sont tous les deux nés à Senja. Dans une décennie, l’un pourra se targuer d’avoir vécu un siècle bien qu’il dispose d’une cognition défaillante depuis quelques années. L’autre semble apprécier la lourdeur des chaînes que Hel a lentement glissé aux poignets et aux chevilles de son époux, assurant le proche baiser de sa Déesse sur l’âme sombre du patriarche. Bien évidemment, les deux surnaturels se sont unis sans amour. Il ne s’agit pas même d’un mariage, mais d’un contrat entre deux familles fortunées. Les Carlsen prospèrent depuis des générations dans l’industrie du poisson et fournissent de grands noms de la restauration à Senja. Ce n’est pas l’argent qui manque dans cette lignée demeurant à Svart depuis le milieu du XVIIIème siècle et peut-être que le prix à payer est l’impuissance des hommes qui se vantent de leur pureté bien qu’aucun d’eux ne soit issu de l’union de leurs dits géniteurs. C’est un fait bien connu sur cette île surnommée la Reine des Glaces, les Carlsen vivent dans le déni quand cela les arrange.

L’adoption de six enfants est une tradition qui remonte à des décennies et vise à tenir les épouses en laisse afin qu’elles n’aillent pas procréer ailleurs. Celles-ci ne peuvent avoir le temps de mener une aventure extraconjugale avec six enfants à charge. Six enfants que l’on a arraché à leur sang, qu’importe les moyens utilisés, et que l’on punit du berceau à la mort. Six enfants dont l’avenir repose entre les mains d’une seule et même Caste, en servant la Déesse de la Mort jusqu’à ce que celle-ci ne les embrasse à leur tour. Six enfants qui reçoivent une éducation basique dans l’intérêt d’avoir un minimum de connaissance pour servir au mieux la Mort et la famille à laquelle iels appartiennent. Six enfants esclaves.

Les orphelins ne peuvent quitter le domicile familial et certains sont morts entre ses murs bien avant que nous naissions. Cependant, les Carlsen ont dû se plier au progrès, à l'expansion de leur ville chérie et aux nombreux dispositifs intégrés à la ville qui permettaient aux enfants d’acquérir un semblant de liberté. Même si nous n’avions pas le droit aux téléphones, nous avions accès aux transports en commun. Nous devions nous débrouiller pour faire les courses, nous rendre à l’école, et répondre aux diverses autres tâches imposées par Harald et Turid. Ces derniers respectent des valeurs traditionalistes propres à l’Ancien Monde et cela passe par un dress code unique. Les filles portaient des robes noires pourvues de cols claudine. Quant aux garçons, tout de sombre vêtus, nous portions des pantalons de toile et des chemises manches longues boutonnées jusqu’en haut. Ordre, discipline, obéissance sont les fondements de l’éducation Carlsen et gare à celui ou celle qui ne les respectait pas en s’autorisant un quelconque écart. Hel sait que pourtant, les enfants ne peuvent s’en empêcher.

Aucune possession, malgré le nombre de pièces dont disposait la demeure de Svart, les orphelins n’avaient le droit qu’à deux pièces à eux. La chambre des filles et celles des garçons dont les portes se regardaient en chien de faïence la nuit et devaient rester ouvertes le jour. Seul demi confort, une salle de bain par chambre, mais l’eau du bain devait se partager aussi et seuls les plus méritants pouvaient profiter de l’eau propre. Parfois écœurés après les journées difficiles, il n’était pas rare pour les derniers de préférer une toilette au robinet plutôt que dans l’eau des autres. Il nous est arrivé de vouloir profiter d’un semblant d’hygiène en outrepassant les règles, mais la chaudière faisait un bruit cacophonique et alertait chaque fois les tortionnaires de nos écarts. Il y avait déjà quelques esclaves permis-nous, des adultes qui avait été achetés pour satisfaire l’appétit de la famille et entretenir la propriété. L’une d’entre elleux préparait les repas en compagnie de deux enfants à des heures fixes, tant pis s’iels n’avaient pas le temps de finir leurs devoirs. Quant au ménage de la bâtisse, il avait lieu le week-end et les six enfants devaient brosser les sols à genoux à l’eau savonneuse. Le seul réconfort que nous avions était de prendre soin des jambes et des dos ankylosés des uns et les mains abîmées des autres.

Il est dans la nature d’un enfant de tester ses limites et de prendre des risques pour découvrir la vie, mais les orphelins, eux n’ont pas le droit à cette liberté. Chacun.e a transgressé les règles de près ou de loin et a subit un degré de punition plus ou moins élevé. Il y avait ces tableaux cloués aux murs des chambres, récapitulant les menaces que les enfants subiraient s’ils ne se tenaient pas à carreau ou s’ils ne répondaient pas convenablement aux ordres. J’ignore si nous sommes la première génération d’orphelins avoir subi autant de violence, mais nous sommes les premiers à nous être toustes émancipés.ées. Malheureusement, la liberté a un coût et le prix à payer se lit sur nos corps et s’entend lorsque chacun.e évoque les séquelles mentales générées par les abus répétés et quotidiens de deux monstres fanatiques et obsédés par le pouvoir. La cave, Mariska la connaît bien pour avoir désormais peur du noir et des espaces confinés, devenue surnaturelle pour disposer pleinement de sa liberté. Un point commun qu’elle entretient avec Lev, ayant toujours été élevé dans la violence, d’abord physique puis psychologique, et s’est enfoncé dans un complexe d’infériorité. Apollo, lui, n’a connu que servitude et soumission, il est peut-être le seul à n’avoir jamais pu briser les chaînes du passé, offrant son corps quotidiennement avec un détachement tel que son histoire ferait pâlir de nombreux visages. Magda partageait une personnalité semblable à celle de Lev, révoltée. Mais l’un a courbé l’échine et se complut dans son mutisme tandis que l’autre se laissait envahir par sa haine du surnaturel qu’elle entretient encore aujourd’hui. Solvi est très certainement la petite perle rêvée de toustes, en particulier de nos bourreaux. Ils auraient aimé qu’on soit toustes comme elle : douce, attendrissante, obéissante, résignée à se priver d’une quelconque forme de bonheur. Elle est celle qui a survécu le plus longtemps entre les murs de la demeure de Svart, elle est celle qui a subi la plus grande diversité de châtiments parce qu’elle avait peur de croître à la lumière du jour, parce qu’elle avait intégré l’idée que les enfants Carlsen n’y ont pas le droit. Nous sommes toustes plus ou moins familiers.ères de ce que l’on appelle le prêt : un plaisir que les Carlsen ont mis en place dans l’intérêt de pouvoir faire du profit sur le dos de leur fausse progéniture en proposant leurs corps et leurs âmes à la location. Les surnaturels de la Tourmente pouvaient bénéficier de ce prêt, mais aussi d’autres Castes qui avaient eu ouïe de cette magouille abjecte. Un prêt durant lequel ils pouvaient disposer de ce que nous sommes comme bon leur semblait. Ceux qui se considèrent comme supérieurs pouvaient tester leurs dons sur nous, d’autres pouvaient subir leurs fantasmes, d’autres pouvaient nous utiliser pour accomplir des tâches encore plus ingrates que dans le foyer dans lequel nous résidions… L’horreur qui nous a toustes marqués.ées dans les profondeurs de nos épidermes jusque dans les méandres de nos esprits à jamais brisés par la domination de deux prédateurs, deux criminels que la justice de Senja protège en fermant les yeux.

Je ne suis pas le premier à avoir passé le seuil de la demeure lugubre de Svart, je suis arrivé en mille neuf cent quatre-vingt-quatorze, après Magda et Apollo. Je ne parlais pas la langue et je m’endormais avec le souvenir du visage de mes parents dans une ville qui n’a rien en commun avec Senja. Je viens de Kobané, située à l’extrême nord de la Syrie, à deux pas de la frontière Turque. Je me souviens de la chaleur écrasante, de ma langue maternelle, des dessins que je gribouillais sur  un carnet de croquis sous les yeux de ma mère et je me suis accroché à ces images. Je ne voulais pas qu’elles disparaissent et je ne voulais pas les remplacer non plus. Alors, sitôt arrivé en Norvège, je me suis fait instinctivement violence pour qu’on ne me détache pas de mes racines qui me manquaient dès que l’on m’a privé de la présence réconfortante de mes parents biologiques. Nous étions trois. Deux garçons du même âge et une toute petite fille qui marchait à peine et balbutiait ses premiers mots. Ironiquement, le tout premier devait être non. Seule petite blonde de la fratrie et déjà mouton noir, je me suis accroché à cette force de caractère qui demeure encore aujourd’hui. Je savais que ce que l’on nous faisait faire était mal, mais sitôt que nous serrions les poings, gangrenés par la peur, ce qui nous révoltait nous revenait en pleine figure par trois fois. Tout allait toujours par trois. Nos vêtements, nos punitions, nos tâches… Deux fois trois pour doubler l’efficacité en l’enceinte lugubre de Svart dont nous nous rappellerons toute notre vie. En mille neuf cent quatre-vingt-dix-sept, Solvi est arrivée, suivie un an plus tard de Lev et de Mariska. L’un âgé de six ans et les deux autres de trois et quatre ans. Deux ans avant le début du deuxième millénaire, la fratrie se retrouvait au grand complet.

Apollo me rendait parfois mal à l’aise. À la fois attendrissant et beaucoup trop sécuritaire, il a tant été conditionné à obéir, qu’il est celui qui peut se flageller sans réfléchir pour protéger celleux qu’il aime. il réclamait parfois nos coups pour que nous déchargions nos frustrations sur lui, mais aucun de nous n’a jamais levé la main sur les uns.es ou les autres. Nous subissions déjà suffisamment de tension et de violence qu’il nous était impossible de reproduire ce schéma malsain entre nous. Cartes, nous avions chacun.e notre double, notre plus proche soutien. Magda est encore le mien aujourd’hui, mais elle s’est parée d’une carapace si épaisse que les confidences que je ne peux exprimer en sa compagnie parviennent plutôt aux oreilles de Solvi. Solvi, quant à elle, trouvait du réconfort dans l’étreinte de Lev, celui qui s’est très tôt réfugié dans le mutisme, s’abandonnant doucement à sa condition pour mieux gagner sa liberté en trouvant un usage à ses chaînes dans la Tourmente. Quant à Mariska, elle dénonçait facilement, il s’agissait du seul moyen qu’elle avait trouvé pour se protéger tout en se cachant derrière Apollo, celui qui encaissait volontiers les coups pour ses cinq frères et sœurs… celui qui m’a sauvé la vie en m’évitant un avenir misérable parmi les disciples de Freyja. Si le moment n’est pas encore venu d’en parler, puisque presque vingt ans plus tard, la douleur est encore trop vive, sache que je suis vraiment désolé, mon frère. Je suis suis désolé pour tout ce que tu as enduré en silence, ce que nous avons toustes mis des années à comprendre. Tu savais et tu n’as rien dit afin de nous protéger.

Je suis le deuxième à avoir pris la poudre d’escampette. S’il y a bien une chose en particulier qui nous était entièrement proscrite, c’était l’amour. Et j’ai eu le malheur de tomber amoureux à quinze ans. Trop faible, trop humain, de futurs esclaves n’avaient guère le droit de comprendre les tenants et les aboutissants de l’amour. Nous n’étions pas destinés à aimer, mais à servir. Il est pourtant si difficile de lutter face au plus beau sentiment qui puisse exister, alors le secret nous a protégés, moi et Rebekka Pedersen. Magda et Solvi savaient, puis Mariska qui nous a surpris un jour, mais s’est tenue au silence pendant quelques temps, jusqu’à ce que Monsieur et Madame n’aient trop de soupçons et la cuisinent, celle qui savait le mieux collaborer sous la contrainte. Bien que les apparences sont trompeuses, sache que je ne t’en veux pas, Mariska. Certes, notre relation n’est pas la plus fleurie dans cette fratrie, mais je ne peux pas t’en vouloir d’avoir renoncé au silence pour protéger ta vie. Tes angoisses, je les visualise puisque nous les avons partagées à maintes reprises. La cave et les rats, le placard aux araignées, le grenier pourtant condamné, les prêts, les plaies… J’imagine tes traumatismes, bien que mon cerveau n’ait pas généré les mêmes. Le cimetière de Hel a été ma sentence et j’y suis resté deux années, assigné à la fosse commune, là où je pouvais voir de très près les vices que la Tourmente inflige à ses proies. À cette époque, les ombres prenaient vies, elles me parlaient, elles se déplaçaient même en plein jour, elles recouvraient le soleil. Et j’ai pris peur. J’ai pris peur lorsque j’ai commencé à me dédoubler. Je devenais fou, je pouvais avoir des interactions avec moi-même ! Un double chargé de pessimisme, nourrit par la souffrance subie pendant quatorze ans. Je suis parti du jour au lendemain. Je sais que toi, Mariska, tu m’en veux. J’ai conscience de vous avoir abandonné.es dans ce trou à rats. Je n’aurais pas dû, mais mettre fin à ce calvaire était une question de survie. Si j’étais resté plus longtemps, je pense que je ne serais plus de ce monde. Je considérais ma fin avec trop d’envie, trop de soulagement, je devais me sortir de là.

C’est en écoutant les voix me fredonner les pires insanités, en prêtant trop d’attention à mon double se tenant debout dans le coin d’une pièce, que me trancher la carotide avec le miroir déjà brisé de la salle de bain des garçons me traversait de plus en plus l’esprit. Libère-toi, Zakaria, qu’on me soufflait, Tu verras, Hel prendra soin de toi. La Déesse t’aimera. Tu n’es qu’un bon à rien ici, tes frères et sœurs n’ont pas besoin de toi. Tu es un nid à problèmes. Elles me rappelaient qu’Apollo s’était sacrifié pour moi, que Lev et les filles subissaient toutes mes erreurs dans mon dos. Parfois, elles imitaient vos voix. J’entendais Mariska sangloter dans la cave, Lev hurler de douleur dans le placard aux araignées alors qu’il dormait dans son lit à côté du mien, je voyais Solvi se noyer dans la baignoire, Magda se jeter du toit… Soit je me vidais de mon sang sur le carrelage de la salle de bain, soit j’errais dans les rues de Senja sans but. La solution était déjà toute trouvée.

Bien que nous avons toustes ressenti au moins une fois le calvaire des uns et des autres, les pires sentiments qui nous hantent et nous martyrisent encore, je ne peux prétendre comprendre ton complexe d’infériorité, Lev. Je ne peux imaginer que toi aussi, les voix t’atteignent et te susurrent quotidiennement le mépris généré par Harald et Turid. Je ne peux prétendre comprendre l’insensibilité qui étouffe le bonheur que tu pourrais ressentir, Magda. Toujours victime d’une frustration dévorante, ayant assimilé l’idée que nous ne sommes pas destinés à être heureux, je souhaite pourtant te voir t’ouvrir un jour, quitte à pleurer, quitte à hurler. Je ne peux pas non plus prétendre comprendre ce que représentent vingt-six années au service des monstres, ceux qui nous ont détruit.e.s, ceux qui aujourd’hui pèsent encore lourd dans nos esprits à tel point que nous peinons toustes à nous reconstruire. L’obscurité est effrayante, l’humidité est désagréable, la poussière nous gratte et nous fait suffoquer, et lorsque les ombres bougent, nos cœurs se crispent. Pourtant, toi, Solvi, tu les as subies plus longtemps que nous toustes. je ne peux décrire le sentiment qui a bouleversé mes palpitations, le jour où Henok Evjen t’a conduite à mon comptoir après ta disparition. Je n’ai jamais éprouvé autant de soulagement, je n’ai jamais autant tremblé en serrant ma sœur dans mes bras, incapable de te lâcher.

Certes, il y a des mots qui tranchent et qui blessent, mais les différences que nous cultivons nous ont uni. Et pour le meilleur comme pour le pire, il n’y en a pas un.e seul.e que j’aime plus que l’autre. Vous êtes mes frères et sœurs, ma première famille, les premiers visages que j’ai retenu et que j’ai vu vieillir. Sans vous, je n’aurais pas survécu.



Zakaria Carlsen
Zakaria Carlsen
humanité embrasée
Personnage
Arrivée : 22/01/2020
Missives : 1318
Pseudo : Neventer
Avatar : Timothy Granaderos
Crédits : Neventer (av. ; aes) Nanami & Awona (cs) ; Suskind (sign.)
Thèmes abordés : Violence verbale, troubles anxieux
Infos RP : Rythme rapide (livraison en 2 jours ouvrés) ; 800 mots en moyenne ; répliques fr/eng au choix selon lea partenaire ; indisponible
Comptes : Marko & Ridwan
Points : 7400
Vestiges. AES-PROFIL-TROGNE-3
Pronoms rp : Il ; he ; him.
Âge : 35 ans (10.01.88)
Occupation : Gérant du Deep Blue, barman depuis presque quinze ans et kickboxeur.
Statut : Voyage dans les abysses, les ventricules déchirés, l'abandon de son âme soeur lui ayant laissé qu'un pan de leur vie à deux. Sa moitié a quitté la Reine des Glaces, le désormais père célibataire tente d'aligner son quotidien à l'éducation de sa fille âgée de seulement deux ans.
Famille : Il est membre de la Rébellion de Sowilo et ce depuis 2006. Recruteur depuis 2015.
Hors-rp

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Message Jeu 19 Nov - 17:20



Close to your heart
Mahaut & Niklas




Mahaut
En tant que futurs esclaves, nous n’avions connaissance de rien. Qu’il s’agisse de l’histoire personnelle de nos parents (ils ne manquaient pas une occasion de nous vanter le prestige de l’entreprise Carlsen, ni de nous conter les prouesses de leurs prédécesseurs. Il s’agissait plutôt de celles de leurs employés qu’ils s’étaient appropriées), de leurs affaires ou de leurs relations au sein de la Caste de la Tourmente. Cela ne nous concernait pas. En revanche, la lugubre demeure de Svart était parfois un lieu de réception. Monsieur et Madame y accueillaient des familles de leur acabit qui se réunissaient parfois ensemble lors du souper. Bien évidemment, nous n’étions guère conviés, nous, les enfants adoptifs des bourreaux. À l’époque, il n’y avait que Apollo, Magda et moi. Notre sœur étant trop jeune pour avoir une quelconque utilité au cours de l’une des soirées, mon frère et moi n’étions âgés que de six ou sept ans et le futur disciple de Freyja était chargé des tâches ménagères avec les autres domestiques dans la cuisine. Quant à moi, je devais prendre les vêtements et les accrocher, porter les cendriers et la nourriture. Bien qu’il n’y avait aucun sourire sur mon visage, Monsieur ne manquait pas de me corriger avec sa canne en visant mes chevilles.

Je me souviens de l’arrivée de la dernière famille comme si c’était hier. Je n’avais jamais vu de rictus plus hypocrite sur les lèvres de Madame que ce soir-là. Sous leurs yeux, dans le hall d’entrée, je n’avais ni prénom, ni lien de parenté, j’étais simplement l’aîné. C’était ainsi qu’elle me désignait pour que je débarrasse ses invités de leurs manteaux. Les nouveaux arrivants avaient une fille qui me semblait avoir à peu près mon âge et nous nous sommes dévisagés le temps qu’elle me confie ses affaires et que j’aille les mettre en sûreté avec celles de ses parents. Elle avait une longue chevelure brune ondulée aux extrémités, des yeux si sombres que j’aurais pu y voir mon reflet si je m’étais concentré dessus, mais l’expression qu’elle arborait était une imitation suffisamment fidèle de la mienne. Était-ce réellement le cas ? Je n’y ai vu que du mépris avant de m’en éloigner, disparaissant dans l’ombre, apparaissent seulement lorsque l’on réclamait mes services. Les soirées n’avaient rien d’amusant pour les autres enfants qui mourraient d’ennui la plupart du temps. Une fois, elle avait échappé à la surveillance de ses géniteurs à la fin d’un repas, l'un de ces moments que je préférais car ma présence n’était presque plus requise, je pouvais souffler. Je prenais le temps de me détendre dans le hall d’entrée, assis au milieu des marches de l’escalier. Je n’étais ni trop éloigné, ni trop proche de ces adultes qui s'agglutinent dans la grande salle à manger. Quel étrange moment, nous n’avions encore jamais échangé un mot. Nous nous sommes contentés de nous regarder en chiens de faïence, encore une fois, comme si le visage de l’un fascinait l’autre. Il y avait des questions qui tordaient les esprits captivés par la vie de l’un et de l’autre, mais aucun son, aucune parole ne déclencha ce que nous allions devenir.

Si nous ne pouvions quitter la demeure de Svart, les autres enfants venaient parfois à nous. Rarement, il est vrai. Qui aurait aimé confier ses rejetons aux Carlsen, réputés grâce à leur entreprise, mais aussi pour tremper dans les magouilles du commerce d’esclaves ou pour traîner leur fausse progéniture dans la fange ? Harald et Turid étaient le dernier choix de ces familles et s’ils devaient assurer eux-même la surveillance, nul doute que jamais nous n’aurions eu de compagnie sous notre toit. Fort heureusement, les domestiques nous comprenaient, bien qu’iels n’avaient guère le droit de nous adresser la parole pour d’autres motifs que notre éducation. C’était donc sous la surveillance d’une gouvernante qu’elle s’est jointe à nous un après-midi, sur ses gardes, capable de rester assise sur le divan des heures durant sans esquisser le moindre geste, probablement par peur d’éventuelles représailles. Ce jour-là, c’était au jardin que mes tâches se concentraient et, comme je n’étais pas bien grand, je n’étais pas d’une grande aide. Je pouvais seulement ramasser les feuilles en automne et prier Freyr pour qu’il n’en tombe pas plus après avoir nettoyé une partie de l’espace. Je ne me souviens plus de ce qui avait attiré l’attention de la gouvernante, toujours est il qu’elle m’avait momentanément confié notre hôte. Et je me rappelle hocher la tête sans faire connaître le son de ma voix. Un échange de regards, encore, jusqu’à ce que nous soyons seuls et qu’elle me dise qu’elle était assez grande pour se surveiller seule. Si j’esquisse un sourire en me remémorant cette scène, la raison est telle que Mahaut Delaunay a toujours eu cette arrogance, cette ténacité qui aujourd’hui l’oblige à jouer un numéro d’équilibriste sur une pente glissante, mais qui lui a permis d’atteindre des sommets tout au long de sa vie, sans l’aide de quiconque et surtout pas celle de la Caste à laquelle on la prédestinait.

Bien que je me sois détourné assez vite, trop jeune pour comprendre sa force de caractère, blessé dans mon égo de gamin protecteur, je n’avais nullement envie de m’approcher d’elle. Pourtant, j’ai compris avec le temps qu’elle m’intriguait. Elle n’était pas fourbe comme les autres, elle se protégeait. Je la détestais, parce qu’elle ne souriait jamais et que ses privilèges étaient discernables rien qu’à la qualité de ses vêtements tandis que je devais porter jusqu’au jour de la lessive mes pantalons troués et salis par la poussière et la boue. On se croisait, on se dévisageait et on s’éloignait, ce même scénario qui se répétait pendant des mois, des années jusqu’à ce que le primaire nous rapproche. Compte tenu de nos six mois de différence, nous ne pouvions pas nous retrouver dans la même classe, mais j’avais pris l’habitude de m’installer loin des autres enfants le midi, à l’extérieur, qu’il pleuve, vente ou neige. abrité par le renfoncement d’une fenêtre. C’est elle qui m’y a trouvé une fois et qui ne m’a pas demandé la permission pour s’asseoir à mes côtés. Peut-être avait-elle observé ma routine, puisqu’elle n’était pas venue les mains vides. Mon matpakke se composait d’un simple smørrebrød et d’une pomme qui me rassasiaient à peine. Mahaut m’a tendu ses fruits et les restes qu’elle n’aimait pas. Le dialogue était entrecoupé de nombreux silences, mais au bout de peut-être deux ans, elle avait enfin pu découvrir l’accent à couper au couteau que je dissimulais sur ma langue.

Étions-nous déjà habitués au secret dès notre plus jeune âge ? La réponse est oui. Trop effrayés à l’idée que l’amitié d’un esclave et d’une future disciple de Hel soit révélée au grand jour, les routines faisaient leur nid, mais ce dernier était surtout constitué de brindilles épineuses, il n’avait rien de confortable. Lors des réceptions, elle s’éclipsait et me tenait compagnie dans l’escalier. Elle tiquait parfois, ne comprenait pas certaines de mes phrases et répéter me faisait souffler. Elle roulait des yeux avec une facilité déconcertante, elle semblait réussir tout ce qu’elle entreprenait, mais elle trouvait toujours un moyen de se plaindre des ballets, des leçons de piano… J’écoutais plus que je ne répondais, tournant sept fois ma langue dans ma bouche avant de lui sortir ses quatre vérités, avant de comparer sa vie à la mienne, ce que je n’ai jamais fait. Je suis devenu plus loquace avec l’âge, mais je gardais mes tournures de phrases et ma grammaire foireuse pour mes frères et sœurs qui s’y sont habitués très vite à tel point que la manie de me reprendre leur a vite échappé.  

Elle avait déjà son prénom sur le bout des lèvres. Dans chaque discussion, Isolde avait au moins quelques secondes de consacrées à l’éloge de sa personne. Une autre humaine, une autre fascination pour Mahaut. J’étais trop jeune pour saisir toute l’étendue de ses confessions, j’avais le soupir facile lorsque la rouquine survenait entre deux de ses phrases. Je ne l’ai jamais côtoyée, mais elle serait surprise d’entendre tout ce que je sais sur elle. Nous n’avions toujours pas atteint le deuxième millénaire que toutes les histoires que la brune me rapportait, témoignaient d’une amitié hors pair entre elles. Les années ont défilé et s’il y avait bien une chose qui nous unissait Mahaut et moi, c’était la rébellion. Elle s’est réveillée dans sa prison dorée, s’est rebellée, a sacrifié son avenir aux pieds de Hel pour décider elle-même de son futur. Harald et Turid étaient scandalisés par ce rituel arraché à la racine, leurs retours acides auraient même fait pâlir la Déesse des morts.À partir de ce jour, Mahaut est devenue un mauvais exemple, une personne infréquentable et ce fut l’élément déclencheur pour l’esclave en devenir que j’étais. J’étais fier de la considérer comme ma plus proche amie, ma meilleure amie en réalité.

J’étais aussi loin de me douter que quelque chose s’était brisé en elle à cette période. D’un côté, je commençais tout juste à comprendre qu’exister n’était pas qu’une souffrance, que les Dieux ne s’étaient pas concertés pour faire de ma vie un enfer. Depuis plusieurs mois, il y avait Rebekka et peut-être était-ce le sourire benêt que j’arborais en dehors de Svart qui dégoûtait encore plus Mahaut, bien qu’elle semblait heureuse pour moi de découvrir une certaine stabilité dans mes sentiments, en sachant qu’il m’a fallu un peu moins de seize ans pour comprendre à quoi ressemble la tendresse. Alors que j’étais plus distrait et que lorsque je pouvais profiter d’un semblant de liberté, Rebekka devenait ma priorité, Mahaut perdait pied et planifiait sa fuite. Elle était constamment à cran et n’était pas très bavarde avant son départ quant à ses futures intentions, mais je n’étais pas à l’aise qu’elle s’embarque dans une aventure en compagnie de son sauveur bien plus âgé qu’elle. Je me souviens serrer les dents en apprenant qu’Isolde n’avait aucunement eu l’intention de la suivre. Puis un jour, Mahaut est partie. Senja se trouvait dans son dos tandis que la ville grise lui tendait les bras. Parfois, en revenant du cimetière, je m’arrêtais à une cabine téléphonique pour avoir de ses nouvelles et les quelques minutes que je pouvais échanger avec elle, son humeur semblait stable et notre lien inchangé. Quant à moi, je m’effondrais petit à petit sous le poids de l’effort. C’était mon tour d’être constamment à bout de nerfs, d’être abîmé par le prêt auquel les Carlsen adhéraient pour s’enrichir un peu plus sur mon dos, littéralement. Je ne souhaite à personne de gérer l’entretien de la fosse commune du cimetière de Hel. Plus les jours passaient et plus il m’était difficile de tenir. Les parents de Rebekka endossaient une  responsabilité qui ne leur revenait pas, mais ils étaient si généreux que je doutais de mériter toutes leurs attentions à eux trois. Au début, il s’agissait que d’une pensée saugrenue, mais à mesure que les jours passaient, je considérais de plus en plus la fuite. Les ombres s’animaient trop souvent, mon double me suivait partout, les parents de Mahaut cherchaient désespérément leur fille et sa mère n’hésitait pas à me louer pour me soumettre à son don. Elle accélérait ma chute, m’emportait dans sa folie, à tel point que mettre fin à mes jours devenait plus alléchant que de m’en aller et je l’ai réalisé une nuit en tenant un bout du miroir de la salle de bain entre mes doigts, considérant l’envie de l’utiliser pour me trancher la carotide. La raison m’est subitement revenue, Lev ne dormait pas si loin. Je n’aurais pas voulu qu’il me trouve au petit matin. Rebekka me voyait me décomposer lorsque nous pouvions nous voir, l’envie de lui demander de fuir avec moi m’a brûlé les lèvres à plusieurs reprises… Je n’ai jamais réussi. Je ne voulais pas qu’elle détruise son futur pour un moins que rien, un déchet à qui il ne restait probablement que quelques années à vivre avant de se balancer au bout d’une corde ou de se vider de son sang avec une bouteille d’aquavit pour seule compagnie. Je me sentais dépassé par ma propre vie, alors je me suis confié à Mahaut. Elle m’avait assuré de suivre mon instinct, de faire ce que je voulais de mon futur, de tracer ma route avec ou sans Rebekka. Elle m’avait déjà persuadé de tenir bon en me rappelant que ma relation était l’une - si ce n’est la - chose la plus belle qui me soit arrivée. J’ai tenu deux ans, puis je suis parti pendant les festivités du Solstice d’été. Brisé.

Mahaut est rentrée cette année-là, en deux mille huit. Le contact n’a jamais été rompu et nous avons repris notre relation là où nous l’avions laissée. Je vivais entre Le Refuge et le lit d’Harald Thorsen. Henrik Pedersen m’a sorti de la rue en m’intégrant à la Rébellion. Je changeais. Ma liberté m’a changé. Je prenais goût au kickboxing, si je ne passais pas mon temps derrière le comptoir du Deep Blue. Mon mentor me connaissait par cœur, il anticipait mes états d’âme. J’étais plus heureux, mais un vide s’est tout de même creusé en moi et être si proche du père de la première fille que j’ai aimé n’aidait en rien, en sachant que la concernée ignorait tout. Elle me croyait mort ou à l’autre bout du monde, parfois même en Syrie. Et c’était si difficile de la savoir sombrer à cause de moi, de lui avoir brisé le cœur. Mahaut savait tout cela et elle m’a aidé à camoufler mon absence, pourtant sous les yeux de Rebekka. Elles sortaient parfois ensemble, évitaient le Deep Blue en suivant les conseils de ma meilleure amie qui n’hésitait pas à dépeindre le bar comme un repaire d’ivrognes aux mains baladeuses. J’ai cessé de parler de cette relation que j’espérais pouvoir regagner un jour, mais la patience filait entre mes doigts tandis que j’apprenais à vivre, à m’éloigner de mon innocence. Nous passions beaucoup de temps ensemble, Mahaut et moi, c’en devenait presque vital. Je fumais plus, buvais plus, prenait toutes sortes de drogues et ce qui ne devait absolument pas arriver arriva. Un abus d’extasie, un réveil dans les bras de l’ancienne promise de Hel, la tête me tournait, mais je me suis emporté. Contre elle, contre moi. Je ne pouvais pas concevoir que nous avions franchi un cap de trop, trouvant du plaisir entre nous. J’avais honte. Si seulement ce mauvais jeu n’avait été qu’une erreur. Lorsque Mahaut s’est inclinée devant Freyja, j’y avais vu un prétexte pour m’éloigner d’elle. Les Dieux m’avaient tout pris et il était plus simple de remettre ma colère sur des choix que je ne comprenais pas et qui n’étaient pas les miens plutôt que de voir la réalité en face et plaider coupable. Cependant, j’étais beaucoup trop seul, beaucoup trop vide et Mahaut comblait le manque, celui que l’absence de Rebekka avait creusé. Ce n’était pas de l’amour, mais sous mes draps ou les siens, cela en avait tout l’air.

Et j’en ai eu assez de de me couvrir de déni. Il m’a fallu une dizaine d’années pour comprendre que Mahaut avait fait son nid au fond de moi, que le gamin intrigué était en réalité attiré par cette prestance, par l’audace incarnée. Alors, comme toujours, nous avons à nouveau cultivé le secret en nous liant comme des amants plutôt que comme des amis. Les mois sont passés, les bons moments aussi, mais les évènements couvrant Senja en ont décidé autrement. D’abord l’explosion du Panthéon, puis Isolde devenait le jouet de la Tourmente, Mahaut déployait ses ailes d’ange gardien et serrait les dents comme un chien féroce. Elle s’habillait de rage et de froideur. Même si elle m’épargnait de sa peine et qu’elle trouvait du réconfort dans mes bras, je peinais à comprendre les enjeux et les risques. Mon point de vue d’humain ne pouvait étendre sa vision des choses et à mesurer le fiasco que cela représentait. Je me suis toujours tenu loin du monde surnaturel et mes lacunes m’ont rabattu le caquet. Je passais de nombreuses soirées avec Mahaut, comme un rituel apaisant qui s’était naturellement mis en place dans notre couple, mais plus le temps s’écoulait et moins je m’exprimais. Je me demande encore à qui elle pensait lorsque nous partagions du plaisir. Je la voulais pour moi seul. Le déni me suivait toujours, mais la douleur s’intensifiait aussi. Je n’étais pas suffisant. Si je ne comblais le manque qu’avec Envie, elle avait d’autres partenaires en tête pour abreuver le sien. La réalité m’a rattrapé. Je n’étais pas celui qu’elle voulait et je m’en suis persuadé jusqu’à ce que rompre devienne la seule solution qui s’offre à moi pour pallier à cette douleur intense qui n’avait pas lieu d’être. Malgré le fait que nous nous soyons avoué nos sentiments il y a quelques mois de cela, je me souviens lui avoir dit que c’était la deuxième fois que je ressentais une telle puissance en sa compagnie. Si je n’étais pas suffisant pour elle, Mahaut ne l’était pas non plus pour moi. Je ne pouvais égaler Isolde, tout comme Mahaut ne pouvait égaler Rebekka. D’un commun accord, bien qu’elle fut difficile à accepter des deux côtés, la rupture s’est prononcée dans le salon de la thésarde. J’étais loin de m’imaginer que deux mois plus tard, je renouais avec la première personne que j’ai aimé.

Mahaut a découvert la vérité à ses dépens. Elle l’a devinée avant que je ne puisse aborder le sujet avec elle. J’avais besoin de temps pour le lui dire. Je ne voulais pas rouvrir des plaies en sachant que son esprit en était déjà bien parsemé. Je ne pouvais pas lui faire subir une autre peine et, en toute franchise, je n’étais pas prêt de la lire dans les obsidiennes. J’aurais aimé qu’elle puisse me remplacer, bien que je ne pensais pas avoir pris autant d’importance pendant nos quelques mois ensemble. Mahaut ne savait rien et Rebekka non plus. J’admets avoir manqué à ma loyauté et ma sincérité par simple égoïsme. La vérité a éclaté en mon absence et mon ascension vers le bonheur a projeté une partie de Mahaut dans les abysses de ses propres tourments. Ce qu’elle a fait subir à Rebekka restera toujours gravé dans un coin de ma tête. Ma culpabilité m’a suffisamment puni, mais la disciple de Freyja s’est montrée plus gourmande, plus vengeresse. Mes torts non plus n’étaient pas suffisants. J’étais hors d’atteinte et j’ignore si elle aurait été capable de me châtier aussi fort que la sublime de la Connaissance. Les affinités sont différentes entre elles, électriques. En s’en prenant à Rebekka, Mahaut s’en est aussi prise à moi. Bien que cela était totalement improvisé, son venin s’est répandu si vite qu’il a aussi endommagé ce qu’il restait de nous. Quelle tristesse que de voir environ vingt cinq années d’amitié partir en fumée. Le fruit d’une impulsion, les ravages du chaos et de la rancune. Les remontées acides de la Tourmente dans la peau d’une jeune femme pourtant si forte et qui lutte de toute son âme pour se défaire du dessain dans lequel nous nous sommes rencontrés.

J’aimerais ne pas te dire adieu, Mahaut, mais
l’espoir est mort et c’est nous qui l’avons tué.




Niklas



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