flower made of steel

1980 - naissance. Au contraire de son aînée qui a fait son entrée dans le monde à grand renfort de cris, vive et hautaine, Eira s’est démarquée par son silence et ses grands yeux sages. Trop calme pour son âge, trop mesurée dans une caste qui prône la démesure, on s’est méfié de sa discrétion et de ses lèvres closes. On a tôt fait de l’oublier entre les hauts rideaux du cabaret et les jambes des artistes, dans les placards étroits et derrières le feu des projecteurs, gamine discrète qui se glissait là où elle pouvait le mieux se soustraire aux regards des adultes, mais où sa sœur aînée a toujours su la retrouver.

Elle a grandi sans jamais ne rien demander, n’a jamais osé hausser la voix ou faire preuve d’arrogance. Enfant prudente et discrète, qui a gagné la place de préférée aux dépends d’Alruna, choyée par ses parents qui se sont toujours fait un devoir de deviner ce qui se tramait derrière ses grands yeux innocents, d’interpréter ses vœux silencieux pour y répondre de la meilleure des manières. Un mystère troublant, une perle rare à polir et choyer, dont l'on aurait presque oublié l'humanité. Personne ne s'est jamais penché assez vers elle pour saisir  l’éclat de satisfaction qui y dansait, dans ce regard sombre, à se savoir le centre de leur univers.

1995 - mort de sa mère. La Beauté célèbre le mariage et l’amour fidèle, et le couple Fan a pris à cœur de se montrer digne des vœux échangés pour sceller leur union. Mais sous le jeu des apparences, le vernis s’est peu à peu craquelé, fracturant l’amour conjugal pour y laisser entrer le venin de l’adultère. Kára est née, troisième fille d’une famille à laquelle elle n’appartiendra jamais que de moitié. Sa naissance a levé le voile sur de longues années de mensonges, achevé la patience d’un homme bafoué.

De sa mère, Eira ne garde qu’un souvenir douloureux, qu’on lui a appris à honnir et déprécier. L’image de son père, digne et fier, tout près du corps sans vie de sa mère, n’est qu’un tableau qu’elle a appris à appréhender avec détachement, peinture d’un maitre juste et cruel. Leur génitrice n’a pas laissé d’autres choix à leur père, que de laver son honneur bafoué. C’était dans l’ordre des choses.

On s’est autant efforcé de la faire disparaitre de cette fresque familiale, que de donner à Kára un foyer aimant. Des souvenirs jetés sur le bucher de sa mémoire, Eira n’a gardé qu’une unique photo, soigneusement dissimulée, et n’a plus jamais osé prononcer son nom, sinon dans le secret des confidences murmurées à Alruna ; la seule à qui il a toujours été possible de se fier. Au cœur de leur relation fusionnelle, elles ont fait une place à l’enfant rescapée, remplacé cette mère oubliée pour lui accorder les meilleures des chances. Choyée au même titre que les filles légitimes de leur père, adoptée par la famille Fan et élevée comme telle.

2001 - sublimation. Sœur aînée, forte de son rôle et de ses conséquences, Alruna s’est toujours dressée là, inébranlable. A panser les plaies de ses cadettes, à endosser le rôle de leur mère effacée. Jusqu’à s’en oublier elle-même. Quand son monde s’est écroulé, elle a étouffé sa douleur dans le silence, s'est relevée, a refusé de se laisser abattre, en apparence. Mais Eira s’est glissée là, au cœur de ses tourments, a saisi l’ampleur de ses souffrances, s’est révélée à son tour d’une aide précieuse.

La sublimation est venue comme une promesse importante, nouée sous l’égide de Freyja. Plus qu’une solution passagère, elles se sont liées dans la continuité de leur relation, plus proches encore qu’elles ne l’étaient déjà. Eira a empli le vide qui s’est ouvert dans l’esprit de sa sœur de sa présence, comblé le manque vertigineux qui aurait causé sa perte ; et elles se sont trouvées là où elle ne l’aurait jamais imaginé, dans l’intimité de leurs pensées communes. Un équilibre s’est formé, entre la vie professionnelle d’Alruna et les études de médecine d’Eira, leurs vies sentimentales et leurs déboires. Elles pour qui les confessions se faisaient déjà si naturellement, elles ont réinventé leur relation par le prisme de la sublimation.

2005 - perdition. Les premières pierres de la décadence sont posées au sein même de l’hôpital, entre les murs aseptisés et les longs couloirs immaculés. Peut-être aurait-elle dû se méfier de cet homme, des premiers services proposés, anodins, inconséquents, insignifiants. Des soins pour les plus sordides des patients contre rémunération, sans risques, qu’il lui a assuré. Il est trop tard pour se retourner, une fois tombée dans la spirale qu’a soigneusement tracé Floyd. Les petits services deviennent de plus en plus importants à mesure que le temps passe, et elle empoche l’argent en se posant de moins en moins de questions, presque redevable. Son père ne lui a jamais rien offert, n’entend pas lui faciliter la tâche et tout lui faire gagner à la sueur de son front, et les études sont si longues qu’elle n’en voit pas le bout.

C’est un raccourci facile qu’on lui offre, où il lui suffit de déposer sa morale à la porte pour glisser les mains dans des gants tâchés de sang. Les premières dissensions avec Alruna éclatent, après tant d’années l’une près de l’autre. Mais malgré ses allures douces et discrètes, Eira est faite du même bois que le reste de la famille Fan ; on lui a appris à s’imposer lorsqu’elle le juge bon, et à ne surtout jamais revenir sur ses positions. Elle est faite de velours, eau glissante et vicieuse, Eira, et on finit trop facilement par lui faire confiance avant de s’y retrouver coincé, dans l’eau glacée et solide, quand ça finit par lui tenir à cœur et qu’elle se refuse à ployer.

Parce que dans les affaires sordides de Floyd a fini par se glisser son neveu, silhouette insaisissable et intrigante après laquelle elle se surprend à soupirer. Pourtant, jamais les regards ne se croisent, et il lui faut rivaliser d’ingéniosité pour provoquer le destin. Elle se moque bien de son nom, de son âge ou de son statut, cherche seulement au fond de ses yeux l’étincelle qui saura lui ravir son cœur, et tout autant lui faire oublier son humanité à elle. Jamais avare et bourrée de créativité quand il lui faut atteindre son but, elle se plie au jeu d’entremetteur innocent de Floyd, qui ne semble guère se douter qu’ils pourchassent le même but, s’essaient  tous deux à provoquer les rencontres de manière tout à fait fortuite.

L’inconscience finit bien par le perdre, Dillion ; à moins qu’il ne se soit complu à jouer les aveugles tout ce temps, se soit amusé de ses efforts répétés avant de céder, de tomber pour elle comme elle est tombée pour lui. Ils font fi des obstacles dressés sur leur chemin, de la rune tatouée derrière son oreille à elle et du mariage orchestré par son paternel à lui. Apprennent à danser entre les récifs pour ne pas s’y fracasser, et tout y perdre. Le secret dissimule leur idylle, en devient une nécessité, et ils s’abritent sous le couvert de la nuit, s’arrachent l’un à l’autre dès l’aube venue, surpris seulement par les yeux emplis de fierté de Floyd et l’air désapprobateur d’Alruna.

Une inconstance bienvenue les premiers temps où la passion suffit à faire subsister la flamme qui les anime. Mais l’un et l’autre savent combien le temps leur est compté, et que les circonstances finiront par jouer en leur défaveur. Avant même qu’il ne s’essaie à imposer quelques plans, elle a déjà murmuré son accord, connait bien la seule issue à cette mascarade, celle qui saura les sauver d’un sort cruel. La clé de leur bonheur, ils la forgent assidûment, déterminés à ne rien laisser au hasard, et à s’accorder les meilleures chances de déjouer le destin.

gush of horror and light

2007 - rite de passage & mariage. Du chemin tracé pour elle, elle dévie sans plus de remords, s’allie à la folie des grandeurs de Dillion et en prend le nom, lorsque Hel la bénit de son obsession. Pourtant, la satisfaction d’avoir triomphé, de s’être montré digne de l’amour de la déesse ne suffit pas à gommer l’éclat de terreur qui s’est glissé dans son cœur, de se voir ainsi accueillie par la branche la plus instable, où toutes les âmes semblant vouées à perdre leur raison, un jour ou l’autre. Elle ne ploiera pas de la même façon qu’eux, elle se le promet.

Dillion à son bras, étincelante de fierté et de satisfaction, elle s’attache à l’idée de réussir, et pas seulement parce qu’il lui a passé la bague au doigt, qu’elle prend son nom et scelle leur alliance. L’or brille à son annulaire, quand enfin ils dansent à deux sous l’œil de Hel. Ils ont savamment orchestré leur propre réussite, ne reculant devant rien pour enfin balayer le secret et resplendir à la lumière du jour. Il lui faut tout autant s’en détacher, de ce mariage, faire ses preuves par elle-mêmes et refuser qu’on ne l’attache sans cesse à l’image de son mari pour ne laisser que le nom d’Eira dans tous les esprits. Un travail de longue haleine auquel elle se prête, se glisse là où on lui laisse une minuscule place avant de finir par occuper tout l’espace. Attachée à prendre de l’importance sans jamais en devenir menaçante, y préférant la discrétion qui fait sa force.

Jamais elle n'a douté, au cœur de leurs complots, a pesé les risques et les conséquences encourues froidement, et ne se permettra jamais de regretter sa décision, d'avoir trouvé sa place légitime auprès de Dillion, aux pieds d'une déesse cruelle à laquelle elle a prêté serment par dévotion. Les regards se sont faits froids et incisifs, mais sa famille a assisté à leur mariage, et dans les yeux d'Alruna elle a lu toute la douleur que cette seconde sublimation brisée a causé en elle. Victimes du même vide qui finira par leur dévorer la poitrine, elle tient bon pourtant, Eira, ne s'accorde aucune pitié, et n'en accordera pas plus à sa sœur. Les promesses d'enfants ne sont que des fantômes décevants, et toute l'affection qu'elles ont encore l'une pour l'autre ne suffira jamais à restaurer ce qu'elles chérissaient.

2008 - création du trafic d'organes. Dans les caves obscures et sanglantes, elle se prête à un tout autre jeu, déçoit encore et toujours les attentes familiales, mais leur fait don de l’innocence. Personne ne sait le trafic qui se fomente et les plans qui se forment dans le plus grand des secrets. Sous couvert d’un commerce flamboyant, elle s’endette, met en jeu son avenir par pure fierté, mais aussi par conscience accrue du risque. Elle se refuse à lui devoir quoi que ce soit, se construit par elle-même, y investi à parts égales, dans le trafic qui se montent de toutes pièces.

L’hôtel Gjöll resplendit, clinquant et luxueux entre les pavés crasseux de Svart, et elle y fait sa place, propriétaire intransigeante, fait seulement mine d’observer et de tenir les rênes de loin, pour le bien des apparences, alors que tout le mérite du succès de l’établissement revient à Dillion. C’est dans les sous-sols sordides qu’elle trouve sa place, y installe son laboratoire clandestin et sa table d’opérations sanglantes, dissimulée par le charme de son mari. A l’ombre de ses expériences interdites, elle entend bien mériter sa place et réparer la dette contractée pour les longues années à venir.

2010 - naissance de leur fils. Au cœur d'une vie organisée où chaque nouveau projet s'apparente à un complot mûrement réfléchi dans l’ombre, Jesper s’est invité dans leur quotidien sans s’annoncer et a remis en cause la définition même de leur foyer. Il en a redéfini les contours, les a embelli, s’est imposé comme une évidence. Ils ont réorganisé leur univers autour de lui, découvert leur foyer sous un nouveau prisme, et s’y sont attachés.

Une vie a commencé à grandir en elle, a fini par dépendre de leur affection et de leurs moyens matériels, et c’est autant de questionnements auxquels elle n’était pas préparée. Mise face aux contradictions de son propre cœur, à aussi profondément aimer un être à peine formé qu’à en craindre les conséquences, sur l’équilibre trouvé auprès de Dillion, et sur son propre rôle à endosser. Là où il a semblé que son mari trouvait sa place, destiné à réparer les propres erreurs de son paternel et à lui offrir le meilleur, il lui a fallu du temps à appréhender la nouvelle définition de leur famille, une crainte pas moins embellie par son amour viscéral, et le besoin féroce de protéger ce foyer, envers et contre tout.

2016 - maitresse de branche. A force de patience et de volonté, elle a tissé sa toile et fait sa place au sein de sa caste, s’est attirée les faveurs de l’Ambassadrice jusqu’à mériter le titre de Maitresse de Branche qui est devenue le sien. Une lumière aussi dangereuse qu’attrayante, qu’elle a appris à s’approprier pour devenir cette entité discrète, mais pas moins dangereuse dont l’on murmure le nom avec crainte.

2018 - mort de leur fils. Elle est la première à connaitre le pouvoir de ceux que l’on sous-estime et que l’on ignore, s’en est toujours délectée. Mais les années lui ont prêté une assurance dangereuse qui, alliée à l’inconscience des bienheureux, lui ont ôté son bonheur. Il a suffit d’une erreur, d’une seconde d’inattention, pour que leur monde entier ne se renverse.

Jesper leur a été enlevé, et avec lui les fondements de leur raison. Quelques corbeaux de mauvais augures ont éparpillés des menaces à même leur porte, déposées là comme mille couteaux enfoncés dans leur cœur. Des lames aiguisées, qu’on a tourné et retourné dans la plaie jusqu’à craqueler la glace, laisser percer la bête hurlante de douleur sous les apparences froides et dignes du couple Croft. Ils ont couru après l’espoir qu’on leur rende leur fils, suivi la moindre indication, obéi aux ordres les plus avilissants, si ça pouvait leur permettre de serrer à nouveau Jesper dans leurs bras. A fouler les pavés de leur propre enfer, ils s’y sont perdus, pourchassant l’idée de mettre fin à l’horreur de la cruauté humaine en s’oubliant dans le processus.

L’espoir a flambé jusqu’au bout, et elle s’y est accrochée, Eira, a jeté toutes ses forces dans la bataille, s’est muée en entité destructrice, tempête qui aurait tout emporté sur son passage, si Dillion n’avait pas été là pour partager sa douleur. Une douleur qu’ils vont vécu chacun à leur manière, dessinant les premières fissures qui finiraient par les séparer pour de bon. Mais jusqu’à retrouver le corps sans vie de Jesper, elle y a cru, s’est attachée à croire qu’elle en avait le pouvoir, de déjouer à nouveau le destin et de triompher au cœur même des ténèbres.

Mais Hel ne lui a pas fait ce cadeau-là, s’est révélée traitresse dans cette entreprise. Peut-être doit-elle y voir une épreuve dressée sur sa route, un test vicieux voué à éprouver sa foi, l’enjoindre à témoigner à nouveau de sa dévotion, renouveler ses serments. Et elle s’y est attelée, sous le regard de sa caste, a observé Jesper disparaitre entre les flammes de Helheim sans verser une seule larme. On ne pleure pas ceux que Hel bénit et appelle à elle, ce serait blasphème.

Dans le secret de sa demeure, dans l’intimité de son couple, la dignité s'est pourtant fissurée,  et tous les moyens sont bons pour se justifier auprès de Hel. Ce n’est pas la déesse qui a rappelé leur fils, mais des humains cruels. Elle s’écroule, Eira, de larmes et de rage, catalyse sa peine dans la colère qui fait sa place dans sa poitrine, et finira par s’approprier entièrement sa personne. La douleur la rend méconnaissable, détestable, et elle s’écrase comme une vague dévastatrice contre Dillion avec la force incommensurable que lui prêtent ses souffrances. De lui, elle n’obtient que sa froideur et la distance qu’il s’impose avec les événements, et plus il s’efforce de se tenir droit, plus elle perd pieds, s’enfonce six pieds sous terre, s’écorche les ongles contre la terre meuble qui dissimulerait son fils. Muée en furie destructrice qui n’entend plus que la douleur érigée en maitresse incontestée de son cœur.

2019 - divorce. La distance s’impose comme la pire de leur punition. Plus elle s’escrime à obtenir une réaction, un souffle, un regard, plus il lui semble nébuleux, Dillion, emporté au loin, prêt à déjà s’effacer de la réalité noircie par l’indifférence. Là où elle tempête et perd contenance, il lui oppose seulement un calme saisissant, qui lui inspire toujours plus de désespoir. La vision seule de sa silhouette, inébranlable, en devient insoutenable, assez pour qu’elle courtise le vide et l’incertain, répète tant et si bien ses vœux de divorce qu’il n’entendra qu’une fois mis face à un avocat. Comme si sa parole à elle ne suffisait plus, et qu’il fallait la loi pour l’acculer, enfin dos au mur.

Et c’est là, et seulement là, que se réveille la bête, et qu’elle reconnait en lui la douleur qui l’a anéanti elle, y perçoit enfin la détresse qui les a submergé, chacun à leur façon. A force d’appeler ses démons, elle a bien fini par lui ouvrir le cœur et  l’horreur en dégueule, sombre et écarlate. Ne reste autour d’eux que les ruines d’un foyer, calcinées par le reste d’une passion brutale. Elle s’est aventurée en terrain méconnu, là où Dillion a su tordre et retordre les lois à son avantage pour la confronter à sa propre obstination. Pourtant, il n’a pas semblé chercher le profit, seulement le meilleur moyen de faire trainer l’affaire en longueur, ne pas la laisser filer sans qu’elle n’ait eu tout le loisir de réfléchir à la portée d’une pareille décision. Mais il a grignoté les restes de sa patience, craquelé le masque, n’a laissé qu’une bête hargneuse là où trônait la femme qu’il aimait.

La victoire a un goût amer, quand le vide s’étale partout où il a finit par prendre de la place. Mais le silence apparait comme la seule réponse au trop plein d’émotions qui a dévoré leur relation, et elle se conforte dans l’idée qu'elle n'aurait trouvé meilleure catharsis. Son obstination seule suffit à justifier les écarts, et faire taire la crainte qui gonfle dans son cœur, pesante et douloureuse, d'avoir signé sa propre perte et perdu sa dernière raison d’être.

Elle ne saisit l’ampleur du naufrage qu’une fois qu’il s’en est allé. Après avoir claqué la porte de leur maison, c’est dans son bureau que s’étale le vide, dans son bureau qu’elle doit trôner à sa place. Abandonnée de toute part, seule et terrifiée, elle se raccroche au pouvoir et à l’autorité d’une manière désespérée, alors que tout lui file entre les doigts et qu’il lui semble avoir tracé elle-même le chemin de sa perdition, condamnée à y cheminer sans possible retour en arrière. Pendant un temps, son orgueil la persuade d’en être capable, et c’est le déni qui voile le gouffre qui s’ouvre sous ses pieds. Elle s’échine à maintenir la barre, endosser le rôle de son ancien mari autant que le sien. L’erreur aurait pu la mener jusqu’au point de non-retour, achever de briser tout ce qu’ils s’étaient attachés à construire, mais un sursaut de sang-froid l’a réveillé, persuadé de prendre les mesures nécessaires et d’agir de manière pragmatique avant que son orgueil ne la perde. Elle a délégué, non sans garder un œil attentif sur les moindres actions de ses subordonnés, avec une conscience aiguë des risques encourus, à confier des responsabilités à ceux auxquels elle ne pourra jamais se fier de la même manière que Dillion. Mais il est parti, et elle doit en assumer les conséquences.

aujourd’hui - basculement La Tourmente a érigé son propre bucher, et y brûle allègrement. Les Ambassadrices tombent les unes après les autres, les têtes roulent sur le billot, et même la place de Maitres de Branche semble instable, entre les nominations successives. Elle se fait discrète, Eira, s’attache au pouvoir, emboite le pas aux plus puissants, décèle le sens du courant avant que les vagues ne s’écrasent sur elle et ne l’emporte au loin. Joue son jeu avec brio pour toujours briller par sa discrétion et son bon sens, jamais du côté des perdants.

Forte de sa place, elle triche sans remord, profite de la confiance qu’on lui accorde, se dresse là sans que jamais son image ne se fissure, digne et fière. Mais dans le secret de sa poitrine s’est creusé un vide démesuré, qu’Alruna avait commencé à former de son absence. Jesper et Dillion ont achevé de la détruire. Tous les moyens sont bons pour colmater les brèches, chercher une solution là où n’existe plus que le néant.

Désespérée, l’atelier secret dissimulé dans sa demeure devient le théâtre de ses expériences maudites, où elle transcende les limites établies par la bien-pensance commune et les enseignements même de Hel. A la recherche du cercle interdit qui saurait ramener un mort à la vie, elle s’engouffre dans la brèche, bascule d'un lieu dont elle ne reviendra jamais et s’entête dans ses recherches clandestines, y perd son sommeil et sa raison. Persuadée qu'il n'y a qu’en sacrifiant la vie des responsables au sein même du cercle interdit qu'elle arrachera son fils des bras de Hel, elle traque assidûment ceux qui ont eu l’idée dangereuse de s’attaquer à eux. Elle dresse elle-même sa potence, enroule la corde autour de son cou, dilapide son esprit dans des songes éveillés, use de son propre don pour retrouver un bonheur perdu, tutoie son obsession en s’installant confortablement dans sa propre prison mentale où elle redessine sa réalité.

Au bord de la brèche, craquelée par le désespoir, elle s’attache pourtant à donner le change, et se tromperait bien elle-même pour conserver à l’abri de son esprit le goût de sa perdition.