juin 2022
— @Tyrell Croft

< Non mais tu fous quoi là ?! > Une main ferme posée sur l'épaule de celui que je devrais qualifier de frère, je tire Tyrell vers moi pour qu'il cesse son petit tour de magie. Sérieux, qu'est-ce qu'il fout là, dans une soirée ne rassemblant quasiment que des gens de la Connaissance ? Un événement qui n'a rien de celui dont il doit avoir l'habitude, où picole et drogues tournent à gogo. Mais qu'est-ce que j'en sais, de ce qu'il fait de son temps libre. Quoiqu'il en soit, il est certain qu'il n'a pas été invité ici, au Palais Royal. Il n'a rien du costard cravate demandé et il arbore surtout des yeux bien vitreux. Si j'ai pu boire deux trois verres de champagne, lui est parti sur des choses bien plus costaud.

Gala mené dans le cadre de la célébration des nouveaux diplômés chercheurs, le restaurant luxueux d'Innlosning a été privatisé pour accueillir l'événement. C'est en sortant fumer, que j'ai constaté la présence du Croft. Si les talons se sont tournés immédiatement dans le souhait dévorant de rebrousser chemin, quelque chose d'étrange a attiré mon attention. J'ai cru halluciner, en comprenant trop rapidement que le gamin usait de ses capacités de surnaturel sur la pauvre humaine de l'accueil. J'ai la fâcheuse tendance à soigneusement éviter la route des Croft, à fuir dès que je les aperçois au loin. Qu'importe que je me méprenne. Cependant, je ne peux décemment pas le laisser agir de la sorte, se donner en spectacle et tourmenter cette femme. Avant que quiconque d'autre n'intervienne et ne lui botte le cul plus sévèrement que je ne serais en mesure de le faire, j'ai pris sur moi et me suis dirigé vers lui. Ca fait quoi, des mois, des années qu'on n'a pas échangé plus qu'un regard ? Je n'arriverais pas à définir si je ne m'en souviens plus ou si plutôt, je n'ai pas l'envie de faire travailler ma mémoire.

< Arrête tes conneries et rentre à la maison. > Que je lui sors avec une autorité fraternelle qui nous est bien étrangère. A peine les mots sortis de ma bouche que je sais déjà que je vais me les reprendre en pleine face. Je sais pas y faire, j'ai jamais su. Et cet éloignement n'apporte pas vraiment sa pierre à l'édifice. J'ai beau ne jamais m'être trop soucié de lui en apparence, j'ai pas non plus envie de le retrouver dans les emmerdes. Sûr qu'il ne m'a pas attendu pour déjà s'y foutre bien profondément. C'est pas pour autant que je dois laisser faire si ca se passe sous mes yeux. Et à vrai dire, je ne sais trop si c'est pour lui ou pour la femme que j'interviens. Sa condition de surnaturel me donne plutôt envie de gerber.

Une soirée comme les autres probablement. Un peu trop d’alcool, offert de ci, de là, par toutes ces généreuses personnes qui veulent simplement un peu de son attention. Le statut Croft probablement ou celui de surnaturel de la Tourmente. Les deux associés pour donner le déchet le plus demandé lors de ces débandades habituelles. Leur rythme a baissé, il se retrouve un peu moins souvent dans ces situations dernièrement. Probablement parce que son palpitant est un peu plus apaisé, un peu moins tourmenté de ces problèmes qu’il traîne depuis l’enfance. Aujourd’hui pourtant, il a du sortir, il avait besoin de sortir pour laisser s’échapper cette pression venue d’ailleurs. S’il semble si indifférent au monde, c’est bien parce qu’il arrive à se jeter corps et âme dans cette débauche infinie. Dans les verres trop nombreux il se noie, tout comme dans les diverses drogues qu’il peut ingurgiter. Pas de Beyla ce soir, les conséquences de sa dernière prise restent encore trop ancrées dans son esprit pour se le permettre, aussi il se concentre sur d’autres, moins intenses peut être mais avec l’effet recherché néanmoins. Douce association de vices qui s’accumulent, jusqu’à ce que la raison quitte son être. C’est ainsi qu’il se retrouve là, au milieu de ces imbéciles de la connaissance. Bien habillé comme à son habitude, il détonne tout de même au milieu de tous ces costards et ces manières guindés qui l’ont quitté en même temps que les désinhibiteurs sont entrés.

Les souvenirs se font flous, mais il sent l’offense venir et la réaction est immédiate. C’est son don qu’il veut utiliser, qu’il cherche à utiliser pour défendre l’honneur attaqué. Don de branche qu’il cherche à créer, utilisant un pauvre pantin pour prendre des coups à sa place, mais il n’arrive pas à terminer qu’une large main vient empoigner son épaule. La brebis semble épargnée de cette intervention impromptue, alors que la colère change de cible et vient s’armer sur l’inconvenant… Qui prend des traits beaucoup trop familiers à son goût. Quelques secondes il hésite, ne sait pas s’il s’agit bien de son frère ou d’une hallucination provoquée par toutes ces substances qui se mélangent en lui. La voix est identique, tout comme ces traits même s’ils ne se sont pas vu depuis des années. Curieuse représentation de son subconscient aussi il considère bientôt l’être comme bien réel… et il éclate de rire face à l’incongruité de la situation. Et puis un autre rire, plus cruel, plus jaune, vient ensuite le remplacer à son injonction. Ah pardon mais as-tu décidé d’être enfin un grand frère? Ne crois-tu pas avoir au moins… vingt… Non n’exagérons pas, tu as bien vingt-huit ans de retard. L’accusation claque sans vergogne, son regard se fait mauvais et son corps entier se redresse malgré le vertige qui le prend, comme pour se heurter à sa stature habituellement plus petite que la sienne.

On va faire un pari d’accord? Si tu parviens à me donner ma date de naissance, ainsi que mon animal préféré et… Il semble réfléchir quelques secondes, avant de pouffer pour déposer sa main sur son épaule et murmurer finalement… mon histoire pour dormir préférée… Il ménage un silence dans le brouahaha qui les entoure, avant d’achever finalement. Alors je rentre à la maison tout de suite. C’est facile, ce sont que des trucs de quand j’étais petit. Rien d’insurmontable pour un grand frère hein… Je suis certain que même Dillion connaît les réponses à ces questions. Il achève dans son sourire diablement arrogant d’un petit con qui est ravi de sa bêtise, certain que jamais il ne puisse trouver les détails de cette enfance dont il n’a pas fait partie. Le palpitant est agité, à peine calmé par la quantité astronomique de stupéfiants qu’il a pu consommer, aussi il attrape au vol sur le plateau d’un serveur, un verre de champagne qu’il vide d’un trait, avant d’enfin reporter son attention sur le frère qui ne l’est que de nom…

juin 2022
— @Tyrell Croft

A peine j'interpelle Tyrell que je regrette déjà. Il va m'apporter que des emmerdes. Ca va créer une embrouille ridicule. Et je me sens déjà incroyablement mal à l'aise face au show qui s'annonce du plus jeune. Cela étant, j'ai vu juste à le supposer user d'un de ses dons de surnaturel sur un pauvre innocent. Malheureusement. Une boule me monte à la gorge, à la fois dégouté et peiné, la certitude de ne jamais pouvoir l'accepter ainsi. Mélangé à ce sentiment de culpabilité que je ravale aussi sec. Ses yeux alors noirs regagnent leur bleu habituel lorsqu'ils se posent sur moi. Esprits semblant repris, je reste stoïque face à son rire désagréable, me mord l'intérieur de la lèvre pour retenir tout commentaire qui ne ferait qu'enfoncer cette situation déjà si catastrophique. J'encaisse ses remarques dans l'espoir vain que ca se tasse, peu enclin à alimenter cet échange qui dérape à la vitesse de l'éclair. Même si j'ai conscience que ne rien lui répondre, c'est lui donner raison. Après tout, c'est vrai. Je n'ai jamais été un grand frère à son égard. Je n'ai jamais voulu reproduire le schéma de Dillion avec moi, ni eu la volonté de créer mon propre schéma. La jalousie me rongeant trop jeune, la certitude que le gamin se porterait bien mieux sans moi, la conviction bien ancrée à force de l'avoir trop entendu d'être le canard boiteux de la famille. Et aujourd'hui, il est clairement beaucoup trop tard.

Mon pied s'agite d'impatience, de malaise. Au moins Ty n'est plus en train ni de s'en prendre à la moindre personne, ni risquer de se mettre dans de sales draps. Enfin, ca reste à déterminer. Semblerait que je sois devenu une cible de choix, quelle joie. Mâchoires serrées, je le laisse continuer de déblatérer ses questions débiles qui n'attendent pas vraiment de réponse. Du moins c'est ce que je suppose tant c'est absurde. Il est né 5 jours après moi, difficile de l'oublier quand mon anniversaire s'en retrouvait rapidement éclipsé par le sien. Il a toujours beaucoup trop aimé les chats. Et si je ne connais pas son histoire pour dormir, elle reste aisée à deviner. Assurément une sur les princesses, genre la Belle et la Bête. Ou la Belle au bois dormant, avec son dragon là. J'en mettrais ma main à couper. Réaction peut-être débile, les choses iraient probablement plus vite si je choisissais d'entrer dans son jeu. Mais je ne prononce aucune de ces bonnes réponses. Le gamin est beaucoup trop habitué à mener la danse pour lui faire ce plaisir. Passif agressif, j'avance un pas vers lui qui peine à se tenir bien droit pour gagner ses trois centimètres de supériorité sur ma personne. < C'est bon, t'as fini ton show du connard de base ?! > Je me retiens d'intégrer surnaturel à l'insulte, à peu près sûr que cela irait en ma défaveur. < Pour ta gouverne, je n'ai rien à te prouver, je t'ai eu dans les pattes assez longtemps pour savoir tout ce que tu demandes. Tu ne pourrais pas en dire autant ! > La rancœur plus intense que je ne l'aurais cru. < Et Dillion a toujours tout su, il est pire qu'un mouchard ! > Je crache en complément à l'attention du frère absent à cette réunion de famille improvisée. < Fous-toi dans la merde autant que t'en as envie, mais t'as pas besoin d'entrainer avec toi des gens qui n'ont rien demandé ! > Je lui précise, pointe avec véhémence sa précédente victime, retire de l'équation une potentielle inquiétude à son égard. Si elle était bien réelle, si j'avais pas tant envie de le voir s'embarquer dans des embrouilles avec plus fort que lui, ce sentiment s'effrite au fur et à mesure de notre échange. Les traits tirés dans une grimace désapprobatrice de son comportement, de ce bordel dont j'ai la sensation d'être la source malgré moi.

L’extérieur de l’homme est imperturbable. Faciès facétieux et posture aussi droite que possible vu toutes les substances absorbées, il ne donne aucunement l’impression d’être touché par cette rencontre impromptue. Le hasard l’a mis sur le chemin de son frère ce soir, mais il est loin d’être ravi. Son palpitant lui est enragé, danse furieusement pour exprimer mon malaise que le gamin tente de dissimuler derrière ce sourire si éclatant. L’attaque pourtant le prend aux tripes, de n’être toujours que cet enfant que l’on déteste sans qu’il ne sache pourquoi. Incapable de comprendre ce qu’il a pu faire de mal pour subir toute cette rancoeur que son ainé ne prend pas la peine de dissimuler. Alcide n’a jamais su cacher la haine éprouvée envers son cadet quand ce dernier éprouve pourtant un amour indicible envers lui.  La colère le guide, comme l’incompréhension, aussi il cesse de sourire pour arborer un air presque mauvais pour lui répondre. Une preuve de plus que tu ne me connais pas mon frère. Ce n’est pas un numéro… Je suis un connard. Ses lèvres s’étirent de nouveau, le sérieux remplacé par l’air éternellement impertinent du tourmenté. Et pourtant, je sais tout de même que tu es né le 10 mai 1988, que tu n’aimes pas spécialement les animaux, j’irais même jusqu’à dire que tu détestes les rapaces ou les félins, vu qu’ils représentent Hel pour la plupart. Tu as toujours adoré Le Petit Prince aussi. Seulement je suis un connard, alors je vais prétendre que je n’en sais rien…

Il n’a pas conscience de l’insulter en prononçant ces mots. Trop concentré sur lui pour de toute façon déceler les mensonges chez son grand frère. La fissure entre eux semble si grande, si importante que tous les mots du monde ne pourront de toute façon jamais la combler. Tu ignores le nombre de moutons que j’ai pu te dessiner lorsque j’étais petit. Ceci dit je n’ai jamais eu le courage de te les apporter. Le coeur aurait été brisé si jeune, si le plus âgé avait osé déchirer un dessin devant lui. L’enfant qu’il était savait déjà, au fond de lui, l’aversion fraternelle et n’aurait jamais pu la braver autrefois. Désormais ça lui semble plus facile, même si le cœur ne cesse sa débandade. Oh mais regarde toi. Tu te poses en juge de mes actes en ignorant même ce qu’il s’est passé. Je suis forcément coupable à tes yeux, tu n’as cessé de me le faire comprendre. Autrefois comme maintenant, rien n'a changé. Coupable de quoi, il ne saurait le dire mais c’est le sentiment inhérent qu’il a toujours trop ressenti. Oh…

Le gamin se souvient soudain de l’affront de l’impudent sauvé par Alcide et un rire jaune lui échappe encore alors qu’il passe les mains dans ses poches à la recherche de son portefeuille. L’absence se fait sentir et un regard moqueur s’impose finalement. Ah… Le bon samaritain a permis à un voleur de s’enfuir. Heureusement que j’ai cessé de mettre mes cartes dans mes portefeuilles. Je suis fatigué de les refaire sans cesse. Objet qui disparaît bien souvent lors de ses soirées alors il ne prend jamais que quelques couronnes sur lui, plutôt que de devoir refaire tout son contenu encore et encore. Je suppose que je l’ai bien mérité n’est-ce pas? Sa sarcasme coule contre ses lèvres et il dépose sa main sur l’épaule de son frère pour rire encore. Allez, tu me payes un verre pour la peine. La discussion semble irréelle alors qu’il change de sujet pour simplement se défaire de cette pression autour de son muscle moteur, qui semble tant important qu’elle le fait suffoquer presque. Le jeune homme a besoin d’air, mais il n’ose le demander, de peur de voir détruit le très léger moment qu’il passe avec son frère…

juin 2022
— @Tyrell Croft

Avec un naturel déstabilisant, mon jeune frère me fait comprendre que c'est surtout moi, le connard de l'histoire. Pas convaincu qu'il le réalise lui-même, j'en reste choqué de cette évidence qui me frappe au visage. Moi qui ai pourtant du mal à discerner ce que cachent souvent les mots de façade, pour une fois ca m'est parfaitement clair. Plus il parle, moins je me sens à ma place. Inconfortable d'être face à lui, confronté ainsi, ici en public. Cette rancœur qui m'habite, j'en ai honte. Si palpable que j'ai la sensation désagréable qu'elle me colle à la peau, me serre, m'étouffe. Ces choses qu'il sait sur moi, je me dis que dans le fond c'est sans importance. Si aisées à connaître que même Abel aurait pu les sortir… Je me voile la face parce que c'est plus facile que d'affronter quoique ce soit. La fuite, souvent la meilleure des solutions.

Je tombe dénue lorsque Ty m'avoue ses dessins. Deviens sûrement livide. La honte me bouffe de l'intérieur et je n'ai plus que l'espoir de me réveiller, que tout ceci ne soit pas réellement réel. A ne pas vouloir reproduire les schémas de Dillion, je réalise pour la première fois avoir pu en créer un pire. Il ne cesse de me descendre et ça me donne le tournis, la nausée. Jamais été assez solide pour les confronter. Sur la longueur, les Croft ont toujours gagné. Le daron a manqué de peu un échec et mat. Les mâchoires serrées retiennent l'émotion qui me submerge, m'embrouille l'esprit et me fait perdre si vite de mon aplomb. Toujours trop fragile face à cette famille, qu'importe les années. < T'as toujours plus correspondu à leurs attentes que je ne le pourrai jamais. > Je lui avoue à demi-mot, peut-être un peu à côté de la plaque. Incapable d'être parfaitement censé, à devenir le méchant de l'histoire. Comment on en est arrivé là ? Croft, pour seule réponse. Ce nom saurait faire vriller n'importe quel être. Un poison à lui seul. Une malédiction c'est certain.

< J'savais pas qu'il… > Je bredouille, réfléchis autant que j'en reste capable. Des excuses imprononçables en de telles circonstances. La contrariété encore en mesure de se faire entendre dans mes mots. < 'fin t'as pas à user de ton don pour une connerie pareille, c'est démesuré. Ça vous empêche d'agir normalement ? > Le vous pointant avec évidence les surnaturels, un ton plus bas. Les paroles un poil trop osées pour être prononcées normalement. < Non… t'as pas mérité quoique ce soit ? > L'incompréhension flagrante dans ma voix face à sa déclaration, tandis que je ne réalise pas la mauvaise interprétation potentielle de mes mots. Sa main se pose sur mon épaule, me provoque un léger sursaut autant qu'elle me fige. Qu'est-ce qu'il fait au juste ? Le contact, de lui, n'importe qui d'autre, toujours un peu difficile à accepter. La proximité tolérée qu'avec de rares personnes, la nécessité d'un temps d'adaptation avant d'y céder sans mal. La peur s'immisce en moi, trop rusée pour pouvoir être refoulée. Je ne comprends pas sa demande, d'où elle sort, si soudaine. Un verre ? < Pour... Pourquoi ? > La question ne fait sûrement pas grand sens, trop courte pour en contenir. Pourquoi veut-il rester en ma compagnie alors qu'il m'accuse de tous ses maux ? < J'crois pas que ce soit une bonne idée Ty... Ça fait tellement longtemps que... J'veux pas d'un énième conflit, j'ai pas besoin de ça… ... Je sais pas comment agir avec toi. > L'enchaînement de ses révélations me désarçonne, déjà exténué par cet échange et tout ce qu'il fait remonter. La crainte de ce frère aussi. Tout nous sépare et il a raison, voilà une éternité que je ne le comprends plus. Je ne le crois pas capable d'attenter quoique ce soit à mon égard. Mais voilà, il y a dans cette phrase un mot de trop.

Quelques révélations pour faire souffrir son aîné. Voilà le jeu de ce gamin qui utilise quelques viles manières pour obtenir ce qu’il désire. Cible pour une fois changée quand se trouve devant lui non pas Dillion mais Alcide. Le vilain canard qui s’est enfui, qui a délaissé chacune de ses responsabilités envers lui et pour une fois, le cadet le tient devant lui. Et s’il n’est pas entièrement conscient de le faire, il utilise tous les artifices possibles pour le blesser en performant l’art de se poser en victime. Pourtant chaque mot qui sort de ses lèvres est sincère, une vérité qu’il utilise à son avantage pour déstabiliser le norvégien mais c’est lui qui se trouve dérangé lorsqu’il entend ces quelques mots. Tu as toujours plus correspondu à leurs attentes. Lui persuadé du contraire, éprouve une part de fierté. Celle d’être un Croft, un vrai, mais l’instant ne dure pas alors qu’il prend conscience que l’avis d’Alcide sur le sujet n’est probablement pas celui qu’il devrait écouter. L’exilé de la famille ne peut être que biaisé et les mots deviennent finalement acides à son esprit.

D’autant plus que les reproches reviennent alors le plus jeune se pare de nouveau de son arrogant sourire pour reprendre ensuite. Oh mais si je l’ai mérité. Je ne suis qu’un affreux surnaturel de la tourmente. N’est-ce que pas que ce tu penses si ardemment? Sache que j’utiliserais mon don quand bon me semble. La déesse m’en a fait cadeau et il serait offense de le garder dans un coin. Son regard change à mesure de ses mots. D’abord moqueur, il devient de plus en plus grave et bientôt empreint d’un respect sans faille lorsqu’il évoque Hel. Une chose que ne pourra jamais comprendre son frère alors il change le sujet aussitôt pour ne pas se laisser envahir par une colère qu’il ne pourrait maîtriser. Il essaie d’être plus léger, de nouer une toute nouvelle sorte de relation avec son grand frère oublié. Toujours ce besoin, cette envie, d’essayer de recoller les morceaux. Cet espoir vain qu’ils ne sont pas cassés chacun dans leur coin et qu’ils pourraient l’être tous ensemble. Utopie qui s’estompe alors que la déception s’invite à son refus et que les épaules s’affaissent. Son regard se peint de toutes ces nuances douloureuses.

Rejet évident de ce frère qu’il a toujours aimé aveuglément pour une basse ignorance en retour. L’adulte se vexe autant que l’enfant est blessé alors qu’ils se mélangent doucement dans cet échange. L’homme en face de lui n’a clairement pas envie de passer du temps avec lui et s’il avait offert l’idée de cet instant, ce verre innocent, le surnaturel se rend compte maintenant que c’était bien optimiste d’y croire. L’instant alors ne dure pas. Il ne faut que quelques secondes au plus jeune pour reprendre contenance et se redresser. Seule la lueur triste reste dans ses prunelles alors qu’il est incapable de l’effacer. Non bien sûr que tu n’as pas besoin de ça… Enonce t’il calmement, une pointe de sarcasme dans le ton alors qu’il se pointe du doigt avant de le montrer lui, désignant leur lien par ce simple geste. Tu aurais probablement dû faire ce que tu fais de mieux Alcide. Ce soir comme tous les autres soirs tu aurais dû m’ignorer. L’homme que tu as sauvé n’aurait probablement même pas eu mal… Les mots coulent quand le sourire se pointe sur le visage. Les yeux gardent cette noirceur attristée mais le gamin se moule dans son meilleur rôle, jouant là exactement l’homme que son frère s’attendait à voir. Mais tu sais… Si tu ne sais pas comment agir avec moi… C’est parce que tu n’as jamais essayé de le faire. Je me suis toujours demandé ce que j’ai pu te faire pour que tu me détestes autant. Bah… Je suppose que ce n’est pas important de toute façon. Il hausse les épaules finalement, attrapant de nouveau une coupe de champagne sur le plateau d’un serveur pour la lui tendre, un petit sourire aux lèvres. Allez, je ne suis pas rancunier. Je te l’offre moi, ce verre. Peu importe la douleur qui sommeille ou cette colère qu’il dissimule et avec laquelle il vit depuis tant de temps. L’enfant masochiste se satisfait juste assez d’être en sa présence, d’être là devant lui et devant ses regards.

juin 2022
— @Tyrell Croft

< A te comporter ainsi, c'est difficile de penser autrement de toi. > Aveu lâché à demi-mot, une honnêteté livrée qui n'est pas assumée, à observer le sol avec grand intérêt. La crainte, peut-être, de sa réaction. Le dégoût, assurément présent. Complexe, à la fois de ce que Tyrell est devenu et de ce que je l'ai laissé devenir. N'étais-je pas censé jouer le rôle de grand-frère, dans son histoire ? Le passé jamais agréable à ressasser, mes tentatives vaines de l'effacer m'obligeant à l'affronter et j'y pense le moins possible. A ce que j'ai subi ou ce que j'ai raté. L'ensemble bien trop nombreux pour s'y noyer. Aussi difficile à affronter que ce regard que porte Ty sur ma personne, incapable de le soutenir. Mes prunelles se portent ailleurs, au loin derrière, observent le chahut des célébrations. Une issue espérée, la fuite envisagée encore.

Ses mots faussement compréhensifs me font douter sur la marche à suivre. Alors je reste pantois, l'air benêt gravé sur ma tronche, l'écoute me parler de cet homme dont il se fiche éperdument. Je secoue la tête résigné, cette sensation récurrente avec eux, d'habiter un univers parallèle au leur où tout perd son sens. < Probablement, Ty. T'es même pas foutu de le savoir, de t'imposer des limites… > Mon crâne me démange face à son sourire dérangeant, oppressé par ses simples mots. La respiration courte et faible, tandis qu'il me confronte à ce que j'ai toujours enfoui. Voilà sûrement une des raisons pour lesquelles je l'évitais lui. Le benjamin qui a été plus épargné qu'il n'en a certainement conscience. < J'te déteste pas… > Je lui lâche la mine contrariée qu'il pense ca. En même temps, est-ce que je lui ai donné l'occasion de penser autrement ? Gamins l'amour n'était pas là c'est certain, la jalousie plus forte, les problèmes personnels plus importants. Et à grandir, le gamin n'était plus là, écarté de ce qui restait de ma vie. Les messages envoyés, retranscrits de manière erronée.

Je me saisis de la coupe de champagne qu'il me tend comme d'un ballon qu'on rattrape par réflex. Le geste se fait naturel, dénué de volonté. Le changement d'humeur du benjamin suffisamment évident pour être capté par mes iris qui ne le lâchent finalement plus. Incapable de poser des mots sur ces émotions qui me traversent. Sur ces excuses qui se coincent dans ma gorge. Convaincu qu'il n'en a pas besoin, qu'elles n'ont pas lieu d'être, que c'est pas le sujet, que ca ne changerait rien aujourd'hui, qu'il va se foutre de ma gueule à la première occasion. Au lieu de ca je le dévisage dans un silence de plomb, avant de lâcher si bas que les mots auraient pu ne jamais exister. < Je sais que c'est trop tard Ty… J'étais qu'un gosse. J'ai pas su me protéger non plus. > L'aveu à demi-mot d'avoir échoué dans ce rôle avec lui, que l'unique grand-frère dans c'te foutue histoire n'a toujours été que Dillion. Que jamais ca traversera mes tripes, que sans notre aîné je n'aurais pas mené grande route.

Le jugement, autant dans le ton que dans les yeux de son frère, sont difficiles à encaisser pour le benjamin. Peu importe qu’il sache déjà tout le mal qu’il pense de lui, ça ne rend pas les remarques plus agréables. Seulement il n’y répond pas, préfère rester dans un silence moqueur plutôt que de lui montrer à quel point ça le touche. Le masque derrière lequel il se planque est bien vissé sur son faciès et il reprend sa danse parfaitement chronométrée. Et pourquoi je m’en mettrais exactement? Il lui offre de nouveau ce sourire dévastateur, celui qui semble tant le mettre mal à l’aise, celui derrière lequel il se cache le mieux. La superbe s’écroule tout comme le sourire se fane, à la seconde même de cette révélation qu’il n’attendait pas. J’te déteste pas. Juste quelques mots qui altère l’acte qu’il offrait jusque là, qui le pousse à reculer d’un pas face à la force de ce qu’il vient d’entendre. J’te déteste pas. Des mots qu’il n’aurait jamais cru entendre dans sa bouche, qui n’ont rien d’une déclaration. Juste ces mots en réponse des siens, alors qu’il était certain de leur véracité. J’te déteste pas. Et juste eux pour le contredire, pour planter une graine d’espoir au creux de son palpitant décharné. Le gamin ne demandait rien de plus. Juste une certitude de ne pas être cible de sentiments si négatifs. L’indifférence pourtant lui fait beaucoup plus de mal mais à cet instant il n’en a pas conscience. Tu as une drôle de façon de le montrer. Le chaotique murmure à peine, touché par ce qu’il vient d’entendre sans savoir comment le gérer.

Sa facétie habituelle s’est fondue dans son désarroi et il lui faut quelques secondes pour reprendre entièrement contenance. Tout simplement parce que Tyrell sent un malaise le prendre. Trop d’alcool probablement déjà même si son discours reste cohérent. Son foie semble vouloir reprendre la direction des opérations mais le géant ne l’entend pas de cette oreille, attrapant un verre quand son frère prend le sien et le vidant sur le champ. Une façon comme une autre de totalement reprendre le contrôle de son existence et de ce qu’il montre, le sourire plus sardonique que jamais. Alors ça veut dire que tu m’aimes? Provocation inutile, pour chercher à contrebalancer le trop plein d’émotions qu’il ressent. Il veut entendre son frère lui répondre par la négative, pour ne pas se nourrir de cet espoir insidieux qui cherche à prendre place dans son esprit. Il ne suffit que de quelques paroles pour que le plus jeune n’oublie la tristesse passée, pour qu’il se plonge à corps perdu dans cette onde positive et qu’il puisse ensuite se sentir à sa place. Seulement cet espoir est vain. Le Croft n’oublie pas les années de son enfance, seul, sans ses frères, ni cette carapace qu’il s’est construit en conséquence. Il veut alors détruire cette once d’espoir, avant qu’elle ne le détruise lui un peu plus.

Je suppose que c’était censé être des excuses? Tu sais… Il hésite un peu, bute sur la saloperie qu’il allait dire pour finalement se raviser. Si tu n’étais qu’un môme… J’étais un bébé. Tu n’as pas su te protéger mais tu aurais dû chercher à me protéger moi. C’est beaucoup demandé je le sais pertinemment. Tu n’avais qu’à me le dire, je n’ai jamais été stupide. Tu pouvais juste me dire ce que tu avais sur le coeur et je l’aurais compris… Et j’aurais cessé de te chercher. L’aveu prononcé sans l’avoir décidé auparavant. Les mots cruels qu’il voulait prononcer devenus mielleux et tout ce qu’il déteste. En les disant, il sait ce qu’il vient de faire. Il vient de se rappeler tout ce qu’il souhaitait dissimuler. Dans le brouhaha de cette soirée à laquelle il n’appartient pas, Tyrell vient d’éteindre tout seul la dernière once d’espoir créée. Et dans ces mots une simple décision qu’il prend… de ne plus jamais le chercher.

juin 2022
— @Tyrell Croft

Pourquoi est-ce qu'il change du tout au tout ? Qu'est-ce que j'ai dit pour qu'il se fige ainsi soudainement ? Qu'il perde de son air carnassier qu'il adore tant arborer ? P'tain t'as encore fait dans les déclarations Al'… J'le fixe un peu perdu. Une réminiscence refait surface, souvenir gamin d'un bébé qu'on m'fout dans les bras. Cette gueule d'ange dévastatrice, qui s'apprête à prendre ma place. Ce p'tit corps si fragile. Ca me fait drôle, la sensation d'une vision toute droit sortie de mon imaginaire, tandis que la certitude de sa véracité me sert les tripes. Dès son premier jour, j'ai pas su lui montrer autre chose qu'une certaine crainte. Pour moi, pour lui. C'était pas un cadeau, de naître dans cette foutue famille. Il avait rien demandé et sa route était déjà toute tracée. J'ai même pas cru utile de le protéger du poison Croft, convaincu qu'il coulait déjà dans ses veines de toute manière. De toute façon, comment le protéger ?

Je l'observe sécher son verre et me laisse désarçonner par sa question. Mes épaules se haussent dans un réflexe d'incompréhension, bouffé par la gêne. Il m'a jamais prononcé ces mots. Qu'est-ce qu'il lui prend ce soir ?! < Je… 'fin… c'est pas l'sujet… > Si. Si, complètement. Je bafouille, déstabilisé au possible, inconfortable lorsqu'il s'agit de s'épandre. Y a qu'Edel pour les avoir entendu sans mal, ces mots. Et repenser à elle subitement, pourtant bien enfouie, ca ne m'aide pas du tout. Qu'est-ce que ca coûterait, de dire oui ? Juste oui. C'est qu'un p'tit mot de rien du tout. Qui ne serait même pas un mensonge. Pas non plus une conviction… Peut-on aimer des personnes qui nous sont en tous points opposées ? Dont on ne partage rien, encore moins leurs choix ? Peut-être. Sûrement.

J'mets trop de temps à réfléchir et le cours de la conversation m'échappe ; Tyrell me bouffe. J'ai vraiment zéro répartie. J'ai toujours été trop lent pour ça. J'le fixe hébété, désemparé, encaisse chacune de ses phrases sans un mot. Vérité douloureuse qu'il m'assène. J'ai besoin d'un temps de silence, pour réussir à rassembler mes pensées. Pour faire articuler à ma bouche quelque chose de sensé. 'fin j'crois. < Tu peux me prendre pour le monstre dans l'histoire, mais qu'est-ce que j'aurais pu te dire ?! T'étais qu'un gosse… Salut j'vais bientôt en finir avec tout ce merdier, désolé d'pas avoir été le frère du siècle... Non mais sérieux… Puis pour ta gouverne, j'connais aucun Croft capable d'épancher ses sentiments. > Cri étouffé, j'm'arracherais presque les cheveux. Ma main se crispe sur mon verre, l'envie de le balancer alors que la bienséance me fait le poser sur un rebord. Langue plus rapide que la pensée, j'réalise ce que je lui ai déballé, l'allusion d'en finir, l'excuse à peine dissimulée. Et j'en ai la nausée, de tout cet inconfort. De cette discussion qui m'tombe dessus et m'écrase la boîte crânienne. < J'me casse. > Je lâche d'un coup, excédé, sentiment de trop plein qui m'bouffe de l'intérieur. Tout m'énerve soudainement, j'ai la rogne sans aucune raison. Et sans un regard de plus à ce frère depuis longtemps abandonné, j'me tire dans la rue, oubliant même l'événement auquel je participais à l'origine.