shade of fear — Alcide&Ez

T’es pas nerveux : c’est quoi ça, de toute manière, la nervosité ? Un flux de pensées, d’électricité, de la binarité qui démonte ton corps et court-circuite ton sens commun. T’es pas nerveux : t’as passé des mois à parfaire ta couverture de superbe, irréprochable, petit Courtisan. Ce n’est pas un humain, de l’autre côté de l’intraweb de l’île, qui va te faire croire le contraire. (Quelquefois, pensées intrusives, tu penses comme ta Caste, comme ta m è r e ) T’as juste l’attente angoissée, la passion maladive du mouvement. Ta jambe qui s’agite dans l’vide alors que t’es assis à ton pc d’emprunt – fabriqué à partir de rebuts du collège privé où tu t’es fait passer pour un mec de la décharge – elle bouge uniquement à cause du trop-plein d’énergie qui dévore par bouffées incontrôlables ton être. Elle n’a rien à voir avec les torsions incontrôlables de ce trop-plein dans ton bide. Tu risques de vomir à un moment, t’en as conscience ?
Autant le faire maintenant.

Tu te précipites jusqu’aux chiottes et tandis que résonne le ping-bloup- caractéristique de la messagerie instantanée que vous avez pris l’habitude d’utiliser, tu vides ton estomac fragile dans les chiottes d’emprunt. L’odeur n’a pas l’temps de s’installer, tu veilles : à ton parfum cotonneux s’accroche l’odeur du désinfectant à la menthe dont t’asperge copieusement l’émail.
C’est chez toi.
Ca sera toujours chez toi.

Tu retrouves la place devant ton écran, repousses les notifications qui n’ont aucun intérêt pour ta mission et souris dans le vide d’un monde factice.



De tes mains gracieuses qu’ont réduit en miettes des os et des hommes – tu n’en parles pas à vois haute en face des gens, mais t’as encore le sang des victimes incrusté sous les ongles – tu choppes les clés de l’entrée, mets tes baskets sans te préoccuper d’avoir l’air con avec la languette à l’air et l’arrière coincé sous tes talons, et dévales le chemin du hall jusqu’à la porte d’entrée. On n’y voit rien, à travers la vitre.
C’est donc encore plus une surprise alors qu’tu tires le lourd battant ouvragé à toi pour le laisser entrer. T’as le sourire des bons jours, Ez, l’air d’un lutin malintentionné qui sème derrière lui une odeur de Febreze et/ou de malice. Un peu des deux, faut dire, dans ton cas. Armé de ton charme légendaire, ton corps dégingandé aux formes incohérentes s’appuie contre la vitre granuleuse d’une demeure qui est la tienne pour la durée de l’interview. « J’en suis à regretter de pas avoir de date, en fait. C’est du naturel, tes cheveux ? »

ne jamais s’interdire d’exister, de parler, de dire les conneries qui passent par les synapses crâmés.
Quoi que ça donne.
Ne jamais regretter.

« Ils sont classes. J’aime bien. Donc je peux t’confirmer mon petit... »
Tu le juges d’un œil averti et avisé, reculant de quelques pas, et l’invitant d’un geste de la main aussi délicat qu’autoritaire. « Que t’es ni vieux, ni dégueu. Même si t’offres des sucettes, moi je les prends… Même celles au lait fraise, ignobles. »
Tu laisses passes un peu de silence après ta voix en montagnes russes. Un pauvre sourire, sincère, plus calme, petit vent après la tornade – à moins que ça ne soit le calme avant la tempête ? – remplit ton visage. « Pardon, mec. T’es bien arrivé. Ca s’est bien passé ? Oh, moi, c’est Ez. Viens ! »
et tu l’guides d’un pas expert dans des lieux qui ne te voient qu’à peine deux fois l’an.

shade of fear — Alcide&Ez

Tu as ce sourire satisfait d’un sale adolescent trop sur de lui. A vingt-huit, tu vis ta meilleure vie de petit con : comme t’as jamais pu t’exprimer lorsque t’étais dans l’âge ingrat, vu que t’as jamais été foutu d’ouvrir ta gueule et d’exister lorsque les années lycée te roulaient d’ssus et qu’tu voulais placer un mot, tu profites maintenant et craches à la gueule du monde tous tes tourments et tes idées. T’as la prise assurée sur l’existence et l’univers aux plaques tectoniques glissantes – savonnettes de monts et vallées. Tu tomberas pas, tu t’effondreras pas comme si on t’avait fauché les jambes, bouffé les pieds. T’as ce sourire de petit con que tu es, et tu t’amuses de l’embarras d’un grand échalas auquel tu glisses lowkey des compliments éclatés. Ouais, t’as rien contre lui – tu sais aussi qu’le test a déjà commencé, une couche de plus sur tes questions piégées, voir comment il s’rattrape aux branches quand on le confronte à ton esprit foiré.

« C’est cool comme prénom. Il résonne avec toi ou ça t’fait mal qu’on t’appelle comme aç’ ? » interroges-tu d’emblée. Le monde est trop petit, trop compliqué, pour que tu lui colles à la peau l’étiquette qu’il n’aurait pas voulu porter. T’en savais quelque chose, du prénom dans le dos accroché au pull qui vous empêche de vous concentrer, pas vrai, Aasmund ? Tu savais beaucoup, pas tout, des affres et des besoins de l’identité, la vraie, l’âme éphémère et insolite, couleurs uniques et pavillon souvent dressé bien bas ; au-dela des contraintes du genre. « Je demande juste. Je m’en voudrais de pas te mettre à l’aise. »
Sachant que tu n’es pas le plus aisé des mecs, que t’as des airs de vieux pervers allumé aux doigts tâchés d’Beyla et d’autres saloperies et que tes cheveux sentent toujours la beuh tous les trois matins (la fumée s’y accroche lorsqu’ils sont mouillés, c’est ça ou la bouffe, t’as vite choisi ce que tu voulais qu’on puisse sniffer). Mais y a ce passif derrière vous, cette entente secrète qui se traduira bien un jour ou l’autre ! T’attends jusque que l’déclic se fasse.

Par nature, tu vas ouvrir le frigo pour en sortir de l’eau. T’allumes la cafetière au passage, tu l’avais déjà chargée. T’as des tasses qui traînent depuis avant l’blizzard, faudra juste les essuyer histoire de virer la poussière. Il balance ses angoisses juste au moment où tu t’retournes. T’opposes à sa peur et son anxiété un rire incongru, frais, gamin, surprise qui monte dans les notes. « Chill. » tu déclares comme réponse à tous vos problèmes. « Tu as prévu d’appeler les flics pour me les mettre sur le dos ? De bruler l’endroit ? Oh, peut-être de me droguer et de me bouffer ensuite ! »
tu claques des doigts et le pointes comme si tu avais craqué la solution. En vérité, c’est juste une fin débile qui vous mènera nulle part. (Il a tant de potentiel) « Assieds-toi, tu veux un café, un coca, un thé ? De l’eau ? Je te promets que c’est juste une rencontre pour parler, genre… Tranquilles ? »
Avec un air un peu secret, une tasse Power rangers dans les mains – piquée à ton ex – tu t’penches sur le comptoir. « J’ai pas la langue dans ma poche, si je commence à vomir sur tout le monde dehors, j’ai aucune envie de finir crâmé… Pour de vrai, cette fois. »

Tu avales une gorgée de ton café chaud, souris à l’inconnu, tes doigts tapotant sur le plan de travail où un micro tient, scotché, derrière l’inox de l’évier. « Et pour répondre, ouais, je vis à Svart depuis que je suis né. J’étais plus au nord avant, mais… C’est une histoire de famille. On peut dire ça. »