La nuit et le jour se confondent, au fond de son antre. Les journées s’égrènent au rythme de son travail, des corps échoués sur sa table d’opération et des organes qu’elle en extirpe. Précieux et sanguinolents. Le faste de l’hôtel Gjöll est oublié, quelques mètres au-dessus de sa tête, quand bien même il la dissimule et la protège du regard du monde extérieur ; une forteresse aux murs étincelants et tapageurs, bien fragiles, mais impressionnants. Iels sont peu à avoir le privilège de connaître ce qui grouille dans ces entrailles, la face sombre et sanglante d’un hôtel luxueux dressé au fond de la misère de Svart ; plutôt que d’investir les lieux à la surface, elle s’est infiltrée tout contre ses racines et les ronge assidûment. Tyrell est de celleux-là, l’œil curieux, le pas invasif, et elle s’étonne presque qu’il ne lui ait laissé qu’un message signalant sa présence, plutôt que de se permettre de venir jusqu’à elle. L’insolence du garçon ne l’aurait pas surprise outre-mesure. Mais il se plait à se tordre sous le regard des autres, jamais là où on ne l’attend, électron libre au parcours imprévisible, échappant à toutes les attentes qu’on aurait pu avoir de lui. Elle ne s’est jamais complu dans l’illusion de le comprendre, de le connaître, le jauge toujours avec une once de méfiance, parce que ce serait mentir que de prétendre savoir ce qui l’agite, au fond. Prudente, elle gravite en périphérie de son cercle proche, comme si ça pourrait suffire à échapper à l’attraction gravitationnelle. Elle n’est pas - plus - de sa famille, n’aura jamais rien à redire sur ses actions. Ce n’est pas à elle qu’il doit rendre des comptes.

Le claquement régulier des talons sur le sol de l’hôtel signe la fin d’une journée, les habits médicaux soigneusement oubliés, rangés au fond du sous-sol, pour que sous le vernis de la propriétaire des lieux ne se discerne plus la scientifique aux mains sanglantes. Elle est ici chez elle, qu’importe l’étage où elle évolue, et dans le hall, l’on s’incline et la réceptionniste lui indique où est allé l’attendre Tyrell, confortablement installé dans un des salons du bar. Elle s’annonce derrière lui d’une main tout contre son épaule, les lèvres ourlées d’un sourire avant de se glisser en face de lui, dans le confort d’un fauteuil. « Tyrell. Ça me fait plaisir de te voir. » L’accueil est sincère, chaleureux. Elle le fixe longuement, à chercher au fond de ses yeux un indice expliquant sa présence soudaine. Qui pourrait aussi bien être le résultat d’un appel à l’aide muet que d’un coup de tête sans signification aucune, sinon que la confirmation de son caractère incertain. « Tu passais seulement près de l’hôtel et tu as pensé à moi ? N’oublie pas de passer la bonjour à ton frère non plus, qu’il ne croit pas que tu as des préférences. » Le sourire est fin, malin, comme une vieille plaisanterie qu’iels partagent à deux, dans le dos de son frère et de son ancien mari. Dillion était le fil qui les rattachait, celui qui les a lié l’un à l’autre, inclus dans une même famille, propulsé l’adolescent qu’il était dans l’environnement proche de la jeune surnaturelle, à graviter autour d’un même système. Leur divorce aurait pu tout ravager, ne laisser d’elleux que des camarades de caste aux conversations polies, mais la familiarité ne s’en est jamais vraiment allée, innée, pour celle qui s’est toujours rattachée à ses sœurs ; son rite de passage ne les lui a pas arraché,un divorce ne pourrait pas plus le faire. Incapable d’envisager qu’il puisse en être autrement, chez les Croft. « Ou tu voulais me parler de quelque chose ? » Tyrell se donne trop d’effort pour paraître inconstant, insouciant, comme une façade pour éviter seulement que l’on imagine qu’il puisse avoir un réel dessin, derrière son impertinence, que l’imprévisibilité puisse parfois être calculée à dessin. Mais elle a appris à se méfier de tout, des artifices comme autant de mirages chatoyants pour dévier l’attention, de la franchise abrupte qui n’en est jamais vraiment, des actions les plus innocentes qui se révèlent bien plus importantes, sur l’échiquier immense sur lequel iels évoluent tou·te·s. L’expérience lui appris à ne jamais se fier à rien ni personne, anticiper les pièges qu’elle n’aurait pas été en mesure de déceler. « Un thé, je vous prie. » Un serveur s’est glissé jusqu’à elleux, et son regard se coule vers Tyrell, demande son avis autant que celui d’Eira. Quand bien même il ne l’a certainement pas attendu pour se permettre un verre, coulé entre les coussins confortables, à attendre que son ancienne belle-sœur ne daigne l’honorer de sa présence. Il parait ici chez lui comme ailleurs, jamais vraiment détonnant dans le décor, empreint de cette nonchalance qui lui taille une place où qu’il aille.

Il n’est que l’étranger en ces lieux, mais il les parcoure comme s’il en était le propriétaire. Frére de l’un, ancien beau frère de l’autre, il pourrait arguer que c’est quasiment le cas, mais il n’est guère inquiété alors qu’il s’installe dans l’un des salons du bar. L’insolence Croft dans chacun de ses mouvements, il a montré une arrogance crasse en indiquant sa venue à la réceptionniste et guère mieux lorsqu’on est venu prendre sa commande. Maître des lieux sans l’être, il n’esquisse un sourire que lorsque la belle s’amène. Sa patience récompensée de ce léger geste dans son dos, autant que dans ce whisky qu’il terminait. Le verre claque contre la table lorsqu’il le repose et il se permet de lever la main pour simplement effleurer la sienne, dans un mouvement si léger qu’on aurait pu le croire imaginé, mais il est pourtant bien réel. Affection qu’il montre ainsi, autant que dans le ton doux qu’il utilise pour lui répondre. Si ce n’est pas ma belle soeur préférée… Les mots pourraient sembler sarcastiques, mais ils sont empreints de ce sourire sincère que si peu savent provoquer. Le plaisir est partagé. Les échanges peuvent d’abord sembler circonspects mais dans ses yeux dansent une réelle chaleur, de cette joie de la voir. Les lèvres étirées, semblent hésiter, il hésite soudain et remue sur sa chaise, un peu mal à l’aise face au regard inquisiteur qu’elle lui offre.

Désormais peu certain d’être à sa place et moins encore dans son bon droit, il se demande s’il ne devrait simplement pas la saluer, lui offrir quelques moments banals, avant de retourner dans ses doutes et ses questions qui n’inspirent probablement aucune réponse. Eira pourtant, est-ce qui se rapproche le plus d’une grande sœur pour lui. La seule probablement, qui pourrait l’aider à trier ce maelström de pensées, qui impliquent beaucoup trop une certaine blonde. Je souhaitais te voir. La présence permanente de Dillion dans mon ombre est suffisamment importante pour l’éviter… ici. Les mots trébuchent alors que la fin de sa phrase change subitement. en ta présence… cherchait il à dire d’abord, mais loin de vouloir la peiner il s’est rattrapé pour rester bien plus gentil qu’il ne peut l’être à l’accoutumée. Je reprendrais un whisky. Double dose. Sans glaçon… Mais il ne précise pas, s’attendant à ce qu’il le sache désormais.

L’attention revient rapidement sur son interlocutrice, toujours incapable de formuler les raisons de sa présence en ces lieux. Les mots lui manquent et l’assurance autant, alors qu’il se montre bien différent de tout ce qu’elle peut connaître, marque évidente de ce tourment qui l’obsède. Comment sait-on que l’on est amoureux? La question fuse soudain, sans préambule ni contexte, de cette franchise dont il ne se sépare jamais. Le gamin se sent stupide presque d’avoir oser demander, mais attend désormais avidement la réponse qu’elle pourrait lui apporter. Inutile de prétendre que je pose la question pour un ami. On sait tous deux que je n’en ai pas d’assez proches pour me préoccuper de ces sujets… et je déteste mentir de toute façon. Sa langue claque sur son palais, de ces mots qu’il ne parvient à endiguer. Détails qu’elle n’a pas besoin de savoir, mais dont il l’abreuve pourtant. Oh et… avant d’aller plus loin. Cette conversation doit rester entre nous et Dillion surtout, ne doit jamais en avoir échos… Son regard est trop sérieux pour que ça ne soit qu’une blague, son frère étant réellement la dernière personne qu’il voudrait mettre au courant de cette histoire.

Il suffit de quelques mots pour la faire sourciller, lui rappeler la place qui a un jour été la sienne et dont elle s’est dépossédée d’elle-même. Elle n’est plus la belle-sœur de Tyrell, quand bien même il aime remuer le couteau dans la plaie depuis leur divorce, prisonnier d’un passé révolu, où un véritable lien familial les liait. Une remarque acide se perd, elle préfère encore lui prêter une oreille attentive, attendre le bon moment pour le rappeler à l’ordre. Qu’il ne fuit pas avant de lui avoir déversé le fond de sa pensée. La seule idée qu’il vienne consciemment vers elle, chercher une réponse, demander une faveur, a tout d’intéressant. Les jambes se croisent par habitude, et un peu plus penchée vers lui, elle se fait attentive, curieuse de connaître le dénouement de sa venue auprès d’elle, l’esprit aiguisé par l’attente. Il y a tout à craindre de Tyrell, autant qu’à espérer. Maitre de l’imprévisible, la méfiance est de mise, quant aux prochains mots qu’il pourrait bien prononcer, ce qu’il pourrait bien être mené à lui demander. Les hypothèses qui pourraient lui embrumer l’esprit sont chassées d’un revers de la main, sachant pertinemment qu’elle se risque toujours à avoir faux, avec lui. Et la question qui éclot, une fois qu’iels ne sont plus que tous les deux, dépourvus de la présence parasite d’un employé, suffit à la conforter dans ses certitudes : Tyrell surgira toujours là où on l’attendra le moins.

La demande parait innocente, presque ingénue, la laisse un instant silencieuse, presque méfiante. A chercher les indices d’un piège qui se refermerait sur elle, si elle osait s’avancer, ne serait-ce que d’un pas. Est-ce encore un moyen tordu de la faire parler de son frère ? Pourtant, sa sincérité a de quoi désarçonner, l’éclat qui brille dans le fond de son regard ne trompe pas, décisif et suppliant. C’est une question qui appelle une réponse, mais qui la désarçonne plus qu’elle n’ose vraiment le montrer, la nuque parcourue d’un frisson déplaisant, comme ramener à ses propres expériences amoureuses. « Dillion n’a aucune raison d’apprendre la teneur de nos conversations, sois sans crainte, Tyrell. Je ne suis plus ta belle-sœur, même si tu ne sembles pas vouloir te faire à l’idée. » Le rappel à l’ordre claque contre son palais, elle s’achète comme du temps, repousse l’inéluctable réponse à apporter, et elle se sent soudain comme une fraude. Croit-il vraiment que cette interrogation est de son ressort ? « Mais j’apprécie ton honnêteté. » Le sourire est sincère, autant que ses yeux, curieux et alertes, rivés sur lui comme dans l’attente d’un indice de plus qui saurait le trahir. Elle se tourne vers lui plutôt que de se ramasser sur elle-même, seule face au miroir de sa propre hypocrisie : elle n’est pas en position de lui donner des conseils de cet ordre. Il n’y a eu qu’une personne pour la faire tomber amoureuse et lui briser le cœur ; le reste de sa vie n’a jamais tourné qu’autour de ses recherches et d’elle-même.

Elle a la bouche peinte de mensonges, autant de tromperies projetées pour qu’il ne se doute pas, quelle fraude elle est. Ça lui parait creux à elle-même, mais elle s’attache aux illusions, ne trahit rien, la lèvre plissée, complice. Ses yeux sombres plongés dans les siens, un signe de bonne foi et d’honnêteté, parce que c’est au cœur de la nuit noire qu’elle se dissimule le mieux. « Te poser la question est déjà un bon début, je pense. Tu as déjà certainement un bout de ta réponse, si tu en es à t’interroger de la sorte. » L’œil pétille, mais elle ne lui fait pas l’offense de prendre sa question à la légère. Qu’il vienne vers elle est une marque de confiance qu’elle entend bien cultiver. « Tu y avais déjà réfléchi avant ? Pour quelqu’un d’autre ? Ou c’est la première fois qu’une relation fait surgir ce genre de questionnements ? » Elle ne possède aucune réelle réponse, rien de plus que de nouvelles questions pour creuser plus profond encore, le mener à ses propres déductions. Et tendre l’oreille pour récolter quelques confessions, qui sait. « Et j’imagine que tu refuseras de me divulguer son identité, hm ? Même si ça m’étonnerait que tu choisisses la facilité dans tes relations et qu’il s’agisse simplement d’un·e membre de notre caste. » L’œil brillant d’un éclat complice, le sourire peint d’un sourire de connivence, elle ne lui fera pas l’offense de croire qu’il serait capable de se tenir sage, pas plus sur le plan sentimental qu’à son habitude. Mais elle serait bien en mal de le lui reprocher ; elle était humaine - pire, sublime - quand Dillion est tombé pour elle.

Une moue contrariée accueille la remarque à demi déguisée. Sourcils froncés, il conserve son regard dans le sien quelques secondes de plus avant de le détourner dans une grimace. L’homme déteste cette situation, là où ils ne sont plus de la même famille, même s’il le ressent encore fortement. Alors comme elle s’empresse de le corriger, il ne se gêne pas pour en faire de même, d’un ton un peu fermé. Ce n’est pas parce que votre contrat est rompu, que votre promesse s’est brisé ou que vos liens n’existent plus, que nous ne sommes plus ce que nous étions Eira. Il s’agace mais reste poli en essayant de lui faire comprendre l’importance qu’elle a pour lui et qu’elle aura toujours, même si son frère n’est plus son époux. C’est bien pour cette raison qu’il est là devant elle, à s’interroger sur cette part de son cœur. Elle plutôt que n’importe qui d’autre. Cette sœur qu’il n’a jamais eu et qu’il refuse de délaisser. Je peux cesser de te nommer ainsi, je refuse d’arrêter de le ressentir. Il regarde par-dessus son épaule pour quelques secondes, avant de ramener son attention sur elle. La concentration, comme à son habitude, le fuit un peu mais revient en même temps que ses yeux sur elle. J’ai oublié de te le dire… mais tu es magnifique, comme toujours. Les mots s’échappent toujours avec cette sincérité désarmante qui n’appartient qu’à lui.

Comme s’il voulait déjà changer le sujet de leur conversation qu’il a apporté sur un plateau. Pourtant, il écoute avec attention ce qu’elle accepte de partager avec lui. Cette sagesse qu’elle lui offre et qu’il écoute avec ce petit sourire de canaille. Confessions et conversation qui ne devraient peut être pas exister entre eux mais dans laquelle il se sent étrangement à l’aise malgré le côté intime de ce qu’il demande. Disons que je ne me suis jamais comporté ainsi avec personne. Elle a même vu quelques uns de mes clichés les plus secrets. Il hausse les épaules, comme si ce détail n’avait pas d’importance quand il s’agit pourtant du plus important de tous. Ces photos si sagement gardées que personne ne les avait vu auparavant. Cet art en lequel il n’a jamais eu suffisamment confiance. Je suppose que ça indique beaucoup sur mon attachement. Il soupire alors que les boissons sont apportées à leur table et il utilise la distraction pour réfléchir un peu plus à la suite de ce qu’il pourrait avouer. Attrapant son verre de ses longs doigts, il en fait tourner légèrement le contenu, le regard dans le vague. Il faut quelques secondes pour qu’il retrouve pied, une moue amusée sur le visage.

Comme il serait amusant que je sois pour une fois celui qui fait exactement ce qu’il devrait. Il éclate d’un petit rire timide qui n’a rien de moqueur, alors que ses yeux pétillent d’un éclat que la folie n’avait encore jamais vu. Seulement ce n’est pas le cas. Je deviens affreusement prévisible. Loin s’en faut mais il préfère se moquer de lui plutôt que de se laisser déstabiliser par l’envie de lui avouer l’identité de celle qui agite son palpitant. C'est un problème Eira. Un véritable problème. Il réfléchit quelques secondes avant de se pencher pour poser son verre et ses coudes sur ses cuisses pour intensifier l’effet de sa question à venir. Quelle serait selon toi, la pire personne à laquelle m’attacher? Je veux dire… L’aberration la plus totale pour un Croft. Ou une Fan d’ailleurs. Son avis sur la question est probablement plus important que ce qu’elle croit. Non pas qu’il puisse se détacher de Luna si la réponse était une description détaillée d’elle, mais il pourrait éventuellement se poser plus de questions quant au bien-fondé d’une relation..

La cruauté de la réalité n’a jamais su satisfaire Tyrell, empressé de s’en aller découvrir un monde bien différent, à l’orée de sa conscience, propulsés par quelques stupéfiants, ou son seul instinct de contradiction. Et les faits, dictés par le divorce, ne lui plaisent pas plus, à refuser de se plier à ce qui a déchiré la famille qu’iels ont un jour composé. Incapable de l’envisager sous une autre forme, de se raccrocher à elle comme à une sœur sans le spectre de Dillion planant au-dessus d’elleux. Ont-iels besoin de mettre les mots sur ce qu’iels ressentent l’un·e pour l’autre ? L’affection se nourrit pourtant d’elle-même, et le sourire qui se tisse est doux, conciliant, touchée par l’affection qui se dévoile dans les petites attentions cédées au gré de ses mots. Tyrell s’avance sur le fil de son honnêteté, dangereusement, expose l’ampleur de ses sentiments à demi-mots, mais assez forts pour qu’elle prenne conscience de la réalité de ce qu’il lui transmet. Les réponses à ses propres questions, il les connait. Lui en parler n’est qu’un moyen de rendre ses sentiments réels, de leur conférer une portée là où il aurait été tentant de se persuader de ne rien ressentir, dans le giron de la Tourmente, là où les sentiments s’étouffent entre les flammes de Helheim. Mais elle a été baptisée par Freyja, née de l’amour de ses pairs, et les affaires de cœur n’ont rien d’un jeu que l’on omet. Nourrie à la braise ardente, échauffée par les histoires tumultueuses des sien·ne·s, où rien n’importe plus que le sentiment qui ne trouvera jamais son pareil. Forgée aux serments inviolables, ceux qui n’en finissent plus, incapable d’oublier celui qu’elle a épousé malgré le divorce qu’elle a tenu elle-même à prononcer. Et c’est bien là, peut-être, que s’érige leurs principales différences. Il lui demande deux avis bien différents, sans paraitre notifier la nuance. Trop attaché à croire qu’elle a toujours été des leurs et le sera à jamais. Mais une part de ses racines est ailleurs, quand bien même elle s’est dévouée à Hel pour l’éternité qui suivra. « Je ne suis pas sûre que Croft et Fan aient le même avis sur le sujet. Nos familles viennent de deux castes aux mentalités différentes et aux avis divergents sur bien des choses. » La Beauté s’est trop longtemps flouée de ses véritables idéaux, une nuée d’illusions projetée pour se fondre dans les ombres, n’être personne et tout le monde. S’accorder aux un·e·s, puis aux autres. Et quand bien même elle s’est forgée sous le feu des flammes de Helheim, demeure quelque part en elle un enseignement que d’autres lui ont fourni.

Ce qui l’a rendu plus conciliante nourri la haine de la Tourmente, là où les opinions divergent et projettent l’ombre de leur différence. Elle a beau porter le nom des Fan, elle n’est plus en mesure de partager certaines de leurs idées, pas dans le giron de Hel. « Mais les Croft sont assurément les plus pointilleux. Mes parents auraient accueilli avec joie une relation avec un·e sublime. Et iels auraient perçu d’un œil méfiant une histoire d’amour avec une personne d’une autre caste, mais ç’aurait été acceptée. Au nom de l’amour. » Quelques idées seulement qui auraient fait grimacer n’importe quel membre de la Caste de la Tourmente. Mais Tyrell se tient droit, avec en tête certainement pire que tout ce qu’elle pourrait imaginer. Est-ce réellement l’amour qui le jette dans les bras de l’heurex·se élu·e, ou seulement le frisson du défi ? « Je doute que les tiens soient aussi conciliants. » Elle le sait pertinemment, qu’ils ne le seront pas. Connait assez Dillion pour prédire sa réaction à un écart, quand bien même il s’est lui-même joué des probabilités, un jour, avec elle. « S’iel est humain·e ou sublime, assure-toi qu’iel se dévoue aussi vite que possible à Hel. Avant que l’on apprenne votre relation, ce serait pour le mieux. » La seule option envisageable, une solution de non retour, mais qui aura le mérite de lui accorder une certaine légèreté d’esprit. Mais fera-t-il vraiment écho au propre passé de son frère ? « Il vaut mieux redoubler d’attention, d’ailleurs, s’il s’agit d’un·e sublime. Assure-toi que saon surnaturel·le est de votre côté. Les choses pourraient vite se compliquer, sinon. » Dans son malheur, iels ont eu de la chance. Alruna a préféré les sentiments de sa sœur à sa raison, mais qui sait quel·le surnaturel·le pourrait sa cacher là où Tyrell s’est mis en tête de dénicher quelqu’un ? Le pire est envisagé, le regard soudé au sien, à chercher dans le fond de ses iris quelques indices à décrypter pour mieux comprendre encore, le nœud de complication dans lequel il s’est enfoncé. « Et s’il s’agit d’un·e surnaturel·le du Nouveau Monde… il serait plus sage de l’oublier. Ou alors sois très, très, très discret. Même avec moi. » La menace plane et planera certainement toujours. La Tourmente n’a jamais vu d’un bon œil les relations avec d’autres, et les sentiments sont dangereux. Et elle ne doute pas un seul instant que Tyrell s’enfoncera dans les pires ennuis possibles, s’il le pouvait, et elle ne peut que lui conseiller la prudence. Quand il aurait été plus sage seulement, de le dissuader dans son entreprise. « Je ne te dirais pas de renoncer, quand bien même ça te parait impossible. Ce serait très hypocrite de ma part. » qu’elle ponctue dans un murmure, les yeux rivés dans les siens, à faire passer un message que nul mot ne saurait retranscrire. Parce qu’il serait dangereux de l’encourager, de lui confier sa propre histoire, incapable de le convaincre de courir un danger pour lui-même, quand son inconscient lui murmure de voler de ses propres ailes, si ça peut suffire à son bonheur.

Lentement, il incline la tête face à la réalité qu’il entrevoit. Une famille de la beauté face à une famille de la tourmente, voilà deux visions bien différentes et l’homme apprécie d’entendre les deux côtés de sa vie, passée et présente. L’oubli passé, qu’elle puisse venir d’une autre faction que la leur, tant elle se fond si bien à leurs côtés. Son attention est concentrée pour une fois, sur ses mots et rien d’autre. Le brouhaha qui les entoure semble insignifiant face à la force des mots qu’elle lui offre. Le visage du tourmenté reste égal quand son esprit fonctionne à toute allure pour assimiler tout ce qu’elle est en train de lui avouer. Ce n’est pas une sublime… avoue t’il doucement, dans un souffle pour ne pas laisser son secret s’éventer au delà de leur table. La confidence est sincère et le gamin voudrait tout lui dire, étaler ses états d’âme sans se soucier d’être jugé. Seulement même s’il nourrit une profonde affection pour son ancienne belle sœur, il sait qu’il ne peut se permettre de lui avouer l'identité de sa belle. Aussi, il cesse de lui balancer des détails, se contentant donc de cette information pour la rassurer légèrement. La réalité est probablement pire aux yeux fraternels de toute façon. Accepterais-tu tout de moi, au nom de l’amour? Si j’aime vraiment cette fille mais qu’elle ne convient en rien, l’accepterais-tu? Le sang n’est pas commun entre ces deux êtres, mais l’importance qu’il lui porte est bien réelle. Le jeune homme n’a de toute façon besoin que d’une seule alliée, pour ne pas avancer seul dans l’inconnu. Juste une personne pour approuver, voilà ce qu’il désire et il ne voit personne d’autre pour endosser le rôle.

Une moue un peu gênée vient bientôt sur son visage alors qu’il ne sait pas ce qu’il devrait lui dire ou non. Je ne veux forcer personne à aimer Hel. Je ne suis pas mon père. Le ton est implacable, presque froid lorsqu’il lâche ces quelques mots. Le photographe sait qu’il ne pourra jamais lui demander cela. Sa famille cassée par le paternel exigeant, par la pression imposée, est l’exemple parfait pour lui. Il faut suivre ses idéaux, plutôt que ceux qu’on essaye de vous offrir. Eira je… Il hésite, sans savoir comment lui dire ce qu’il a en tête. Tu crois que Dillion pourrait me renier, si je suis amoureux de la mauvaise personne? Tu le connais mieux que personne et… Je sais que je prétends m’en moquer mais son avis est important et j’ai toujours l’espoir vain qu’il puisse être fier de moi un jour… Ce qui n’arrivera pas s’il décide qu’elle n’est pas assez bien. Et le jeune homme le sait, que Luna n’entre pas dans les critères possibles de Dillion. Cependant les mots de la belle devant lui sont encourageants. Il voit les lueurs d’un espoir se pointer quand elle lui demande d’insister, de ne pas renoncer. Pourtant elle ne sait pas de qui elle parle, elle ne sait pas qu’elle n’est que la gouvernante, une humaine. Une sale engeance d’après la tourmente. Et pourtant celle qui vient gentiment gratter son coeur pour venir y faire sa place. Je crains qu’il ne soit trop tard pour renoncer de toute façon. Les règles n’ont jamais été pour moi… Il craint de casser cette entente ténue entre frères qu’ils ont été capables de composer dans le sang et les malaises mais il semblerait qu’il craigne plus encore de rejeter ses sentiments pour la demoiselle…

Il suffit de tendre l’oreille pour glaner quelques informations, tirer les fils de ses déduction pour en dresser un portrait plus complet, de cet amour interdit. Eira se nourrit des silences et des esquives, avise le terrain sur lequel il s’avance, et celui sur lequel qu’il évite sciemment de s’aventurer, s’empare des contestations pour dénicher la vérité derrière elle. De mystérieuse inconnue à l’équation, une jeune femme prend forme. Elle n’est ni sublime, ni surnaturelle, à en juger la manière dont Tyrell refuse de la pousser dans les bras de Hel, de la forcer. Il existe donc une possibilité. Une lueur s’allume dans le fond de son œil sombre, une curiosité qui s’assouvie peu à peu. Il en révèle plus qu’il ne le devrait, s’est enfoncé trop loin pour pouvoir reculer ; le piège s’est refermé sur lui, et il s’y est précipité de lui-même. « Je ne t’incite pas à la forcer, Tyrell. On ne force personne à se dévouer à une divinité, pas plus que l’on ne force une divinité à accepter une nouvelle surnaturelle. » L’on peut jouer avec ses chances, réunir les conditions idéales à un passage du rite, mais dans la finalité, il s’agit seulement du dialogue entre un·e mortel·e et une divinité. Rien d’autre. Tyrell ou Dillion ne pourront jamais qu’inviter leur aimée à les suivre, leur tracer le chemin sans savoir quel dénouement y éclora. « Il s’agit de croire en Hel, et de vouloir la servir. Ce sera certainement un travail délicat, et de longue haleine, mais je suis sûre que tu sauras être persuasif. » Elle le connait assez pour lui connaitre des ressources insoupçonné, un sourire ravageur et une sincérité parfois désarmante, sous sa fausse nonchalance. S’il l’aime vraiment et si elle l’aime tout autant, iels sauront faire les bons choix et s’assurer de se donner une réelle chance. « Parce que si tu ne l’es pas, c’est Dillion qui s’occupera d’elle s’il apprend ce qu’il se trame. Et tu ne veux pas que ça arrive. » Oiseau de mauvais augure, elle sème des menaces implicites, mais pas moins pesantes, terrifiantes de réalité. Elle lui fait cadeau de sa franchise, d’une lucidité qui lui manque parfois à lui. C’est en connaissance de cause qu’il est venu chercher conseil auprès d’elle.

L’interruption du serveur ne laisse que quelques instants de silence s’installer, le temps de verser l’eau bouillante dans sa tasse et de servir son whisky au jeune homme. N’évite pas à Tyrell une lourde sentence. « Arrange le problème avant qu’il ne sache. Et il n’aura rien à te reprocher, ne pensera pas à te renier. Mets toutes les chances de ton côté, si son avis compte vraiment. » Elle ne lui oppose qu’une logique froide et farouche, ne s’embarrasse d’aucun détour, quand bien même la douleur est criante, dans la voix du tourmenté, flamboie dans l’œil en une supplique muette. Il cherche encore l’approbation de son frère comme un enfant chercherait celle d’un de ses parents, à cultiver des espoirs que Dillion s’empressera d’étouffer. Elle aimerait pouvoir lui souffler une possible victoire, une illusion de triomphe réconfortante, mais ce serait lui offrir une chute plus abrupte encore à l’avenir. « Et ne pense pas pouvoir faire de notre histoire un argument correct. Je me suis dévouée à Hel. Il a réussit. Et il te le rappellera. » Minutieuse, elle s’affaire à piétiner chaque espoir qui aurait pu se faufiler dans son cœur, ne lui offrir qu’une cruelle vérité auquel il saura se confronter, une fois l’heure venue. « Assure-toi d’en faire de même si tu ne veux pas le décevoir. » Il ne peut espérer s’opposer à Dillion sans argument solide pour couvrir ses arrières, pas quand il lui avoue être aussi sensible à l’opinion de son frère aîné. Il lui offre lui-même les armes avec lequel le battre. « Ou alors, détache toi de son jugement, et cesse de lui laisser l’emprise sur tes choix. C’est à toi de décider quel chemin tu veux suivre. » qu’elle susurre, la lèvre étirée d’un sourire, au-dessus de sa tasse de thé.

L’inconscience au creux des reins alors qu’il parle beaucoup plus qu’il ne devrait. Ces détails qu’elle n’avait pas besoin de connaître mais qu’il lui offre sur un plateau, offrant une description de plus en plus détaillée de cette fille qui hante doucement ses rêves. Quelques informations restent bien planquées dans son esprit, mais il sait qu’il a déjà donné trop d’informations. Il s’en rend compte en écoutant les propos de son aînée. Il ne peut s’empêcher d’ailleurs de rouler des yeux en l’entendant parler de Hel. Tous ces mots qu’il connaît, qu’il a déjà entendu maintes fois qu’elles sont probablement gravées dans son esprit. Tout ce qu’il n’a pas besoin d’entendre et dont il a pourtant désespérément besoin. Un rappel de ce qu’il est, de ce qu’il sera toujours et qu’elle ne sera probablement jamais. C’est un instinct qu’il possède, qui lui montre chaque jour qu’elle n’a pas les mêmes croyances que lui.

Une grimace vient donc décorer son visage, quelques secondes à peine, probablement dissimulée par l’apparition du serveur. Le verre trône devant lui et il s’empêche de l’attraper pour se donner contenance, pour ne pas lui montrer l’agitation qui le prend maintenant qu’il a devant lui tous ces arguments qui devraient le pousser vers l’inverse de ce qu’il désire. Chaque parole prononcée par son ancienne belle sœur le pousse à comprendre que la domestique n’est pas pour lui, qu’elle ne devrait pas l’être. Seulement son palpitant lui indique tout le contraire et il s’agit là d’un combat entre le cœur et la raison… ce qui sonne chez lui comme un diagnostic puisque la raison n’a jamais dicté ses pas.

Le serveur repartit, il attrape enfin le verre entre ses doigts fins pour jouer avec le liquide ambré, pour le pousser à la patience pour la laisser parler sans l’interrompre, sans lui offrir aucun autre indice sur ce qu’il se passe dans sa tête. Tous les arguments restent très percutants et lorsqu’elle assène son dernier coup, il boit un rasade de sa boisson avant de reposer le verre sur la table. Tu n’as pas répondu à ma question il me semble. Est-ce que toi, tu me renierais, si elle ne convenait pas? Elle sait déjà que la fille qui tapisse ses pensées n’est pas acceptable… pas pour Dillion en tout cas. Tout ce qu’il a révélé sur elle commence à dresser un portrait plutôt évident même si elle ne doit pas encore savoir de qui il parle. Le gamin se pousse à poser la question, à chercher une alliée dans tous ce chaos alors qu’il semble évident qu’il se dressera contre son frère dans l’histoire. Tu me parles de mes choix comme si c’était facile Eira mais tu sais que ça ne l’est pas. Sans Dillion que me reste t’il? Ma mère? Alcide? Toi? Si je renies Dillion et ses opinions, que me reste t’il?

L’insécurité de ces quelques mots, quand il offre tant d’importance à l’avis de son frère, à cette relation qu’ils arrivent doucement à reconstruire. Tout ce que tu me dis est criant de vérité. J’ai bien fait de venir te voir puisque tu ne t’embarrasses pas de faux espoirs. Probablement aurait-il aimé un discours plus optimiste mais la vérité lui plaît beaucoup plus que l’espoir. Je ne sais même pas ce que je ressens pour elle. Je sais qu’elle ne convient pas à l’idéal Croft et j’ai pourtant envie de m’en moquer. Je veux juste passer du temps avec elle. La confession se meurt dans un murmure alors qu’il prend conscience de la force de ce qu’il ressent. Pour l'énoncer à voix haute de cette façon, l’évidence est là. Il a des sentiments pour Luna, la gouvernante… et ne sait toujours pas quoi en faire…

Le confort de sa position n’amène pas moins d’interrogations, de souvenirs poignants, presque douloureux. Mais quoi que Tyrell fasse, elle sait que qui et sa dulcinée ne feront pas les mêmes choix qu’iels ont un jour fait avec Dillion. Il ne cédera jamais à la raison et à une solution viable, y préférera toujours le frisson de l’interdit. Et plus que de la déception, c’est un soupçon de peur qui lui murmure au coin du cœur qu’il ne s’amène que d’autres problèmes encore. « Pourquoi t’entêtes-tu encore à utiliser le conditionnel ? Nous savons l’un·e comme l’autre qu’elle ne convient à aucune des exigences de la famille Croft ou de la Caste de la Tourmente. » qu’elle ponctue, un sourire complice au coin des lèvres, mais pas moins grave. Il lève vers elle un œil perdu, s’expose trop facilement, s’ouvre le cœur en deux pour lui montrer à quel point les doutes l’ont assailli, que les émotions ne suffisent plus à faire battre son cœur et l’étouffent seulement. Il en est si vulnérable que la peur en est plus criante. Elle le sait, qu’il court à sa perte. Et elle n’est pas en mesure de l’arrêter. « Tu me demandes mon avis parce que si tu souhaitais poursuivre sur cette voie et que je te reniais, cela suffirait à te faire changer d’avis et abandonner ton projet ? » Sous la complicité joueuse se glisse une réelle inquiétude, une pointe de déception. Elle ne sera pas celle qui le protégera et le ramènera à la raison, et elle lle doute seulement qu’un jour quelqu’un en soit capable. « Je ne te renierais pas, Tyrell. Pas plus que je ne te dénoncerai. Mais ce n’est pas pour autant que j’approuve ton projet, et qu’il sera en mon pouvoir de vous protéger, si ça s’apprend. Renonce, ou trouve une réelle solution. Il n’existe pas d’entre deux. » Le regard plongé dans le sien se pare d’une douceur qui a toute son importance, dans son discours. Elle ne le jette pas dans la gueule du loup, préfère le prévenir des dangers, s’achète sa loyauté en promettant d’être à ses côtés. Elle se coule dans les failles qu’il lui a exposé, use de ses pires insécurités pour le ramener près d’elle, sans pour autant distiller des promesses qui la mettrait en danger elle. Lui assurer qu’elle saura les protéger ne finira que par se retourner contre elle ; elle s’attirera le courroux de ses pairs et celui de Tyrell pour avoir échoué. Mais l’expérience lui appris à placer ses pions, s’aventurant tout près de la limite, mais jamais assez pour tomber avec le fou.

La chute n’en est pas moins rude, en le mettant face à la réalité qu’il évite sciemment. « Sinon, il te faudra certainement faire un choix entre ta famille et cette fille. N’espère pas pouvoir tout avoir, cela ne marche pas ainsi. » Elle le sait d’expérience. Ses propres choix l’ont mené sur une pente dangereuse, tourner le dos à sa famille, renier ses propres principes pour enfin nouer officiellement son bras à celui de Dillion. Pour lui, elle a consenti à tous les sacrifices. Un choix que ni Tyrell ni sa belle ne semblent prêt·es à faire. « Qu’est-ce qui compte réellement pour toi ? Elle ? Ou ta famille et ta caste ? Qui es-tu prêt à perdre, d’elle ou de Dillion ? » Rien ne lui est épargné, et même la douceur de son ton ne suffit à rendre les faits moins rudes. « Mieux encore. Tiens-tu réellement à sa vie ? Tu sais ce qui pourrait lui arriver, si seulement ça se savait. » Elle a le regard désolé de celle qui avise l’avenir d’un œil sombre, constate les dégâts avant d’avoir à les essuyer, en sachant pertinemment que cette histoire ne trouvera aucune fin satisfaisante, qu’il finira seulement par en souffrir. Et elle aurait voulu lui éviter cette peine. « Je n’ai jamais prétendu que c’était simple, Tyrell, et il n’y a rien de plus cruel que la vérité. Mais je t’évite plus d’une désillusion en te mettant en garde et te confrontant aux choix auquel tu devras faire face. Mieux vaut t’y préparer afin de t’y risquer. » Faucher ses espoirs avant qu’ils n’aient eu le temps de grandir, de faire leur place dans sa poitrine, éclore au lever du jour pour n’y découvrir qu’un champ de ruine. Calciné avant même d’avoir pu surgir de la terre. « Les réponses, ce n’est pas moi qui les possède. Je peux seulement t’aider à les trouver. » Mais ce en sera jamais assez, et elle en a conscience. Elle l’observe prendre la mer depuis la terre ferme, certaine qu’il finira par faire naufrage. « Je ne peux décider à ta place de quoi veux-tu faire ta vie et par qui souhaites-tu te définir. »

Il avale les propos comme des dizaines de dagues, qui l’écorche à chaque seconde un peu plus. Ce qu’il entend est criant de vérité, il n’en attendait pas moins d’Eira, mais ça ne rend pas le tout plus agréable à entendre. Une simple moue désabusée vient orner son visage cependant, incapable de montrer une autre émotion alors que son esprit semble vouloir fonctionner à vive allure. Trop vite probablement pour lui alors qu’il lâche sa position guindé de riche gamin pour s’avachir dans le siège. Ainsi il semble boudeur, plus enfantin aussi alors qu’il s’enfonce dans la contrariété. Le changement est subtil, visible pour l'œil habitué à le côtoyer. On dit que l’espoir est idiot mais qu’il fait vivre. Il reste cette petite part de moi qui persiste à croire que par miracle elle puisse entrer dans les normes tourmentées, dans celles de Dillion. Il se sent imbécile de le croire mais ose un fin sourire pour contredire ces pensées trop noires. L’espoir est vain il en a conscience mais il le conserve tout de même, sa belle est suffisamment différente pour se montrer surprenante après tout. Peut être. Ton avis compte beaucoup pour moi tu le sais. Il n’ajoute rien d’abord, se contentant d’attraper son verre de nouveau pour en boire une gorgée, l’observer et ensuite finir le liquide ambré d’un coup. Je n’ai aucun projet. Je venais te poser des questions sur l’amour, pas pour la demander en mariage. Ceci dit… Une idée délirante qui vient prendre place dans son esprit, vite chassée par l’air espiègle qu’il arbore tout de même par la suite.

Cet air bien personnel qui ne ressemble à aucun autre et qu’on ne peut voir que dans ses yeux, lorsque l’esprit dépasse les limites imposées par le monde. Il est injuste de me faire choisir. Je refuse de renoncer à Dillion alors que l’on commence enfin à s’entendre un peu. Je refuse de renoncer à cette fille sous prétexte qu’elle ne convient pas aux exigences d’un fantôme trop ambitieux. Choisir c’est renoncer et je ne souhaite pas renoncer. L’impassible sale môme expose ses conditions, tait la raison pour laisser exploser ses sentiments trop disparates. Les mots sont durs, semblent peut être incisifs mais la douceur de son ton impose cette tendresse qu’il ressent toujours envers elle. La sincérité de leur échange montre l’affection qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, quand ils ne s'embarrassent pas de faux semblants. Je me définis par moi-même. Je l’ai toujours fait et je ne compte pas commencer maintenant. Traite moi de fou si tu le désires, mène moi au bûcher si tu l’estimes nécessaire, mais j’aurais les deux… ma famille, ma fortune, mon manoir… et cette fille. Si elle m’aime alors j’aurais tout. Animé soudain de cette passion fulgurante, alimentée par les propos pourtant défaitistes de son aînée, l’homme se redresse finalement, les yeux brillants de cette résolution prise.

Poussé d’ailleurs par cette folie vivace, il se lève et s’avance vers elle pour déposer un baiser aérien sur sa joue, avant de se rassoir l’air beaucoup plus vivant qu’auparavant. Ses doigts plongent d’ailleurs dans sa poche, s’apprêtent à en ressortir une cigarette mais il se souvient être dans un endroit public alors il cesse sa recherche pour croiser les bras, les yeux pétillants. Je suppose que ça ne sera pas facile mais je ne demanderai pas ton aide. Je le fais déjà bien assez en étant ici. Je te demande de me pardonner pour mon impudence, pour croire que je pourrais défier les lois établies pour la famille Croft pour mon confort. Je ne peux simplement pas attendre que l’on choisisse mon futur pour moi. L’insolence cesse finalement quand il se calme enfin et il coule vers elle un regard contrit et pourtant joyeux. Merci. D’être là pour moi.

Il est venu lui demander conseil, l’a trouvé au cœur de son domaine pour chercher des réponses, sans seulement accepter de l’écouter. S’attendait-il à quelques encouragement de sa part, une réponse positive ? Envisageait-il vraiment pareil projet avec autant de naïveté ? L’espièglerie glissée entre deux coups d’œil n’a plus rien d’amusante ou d’attendrissante, elle ne pense plus qu’au danger vers lequel il court bien volontairement, après en avoir été averti, en refusant d’y prendre seulement garde. Elle perd son temps, à tenter d’insuffler un grain de bon sens dans sa réflexion. Sa volonté de transcender les règles, aller contre le destin, et ne choisir d’emprunter que le chemin qu’il aurait choisi aurait pu être admirable, s’il son projet n’était pas déjà voué à l’échec, à peine prononcé. Il s’entête sur une voie sans issue, court à la catastrophe, et refuse d’écouter celle dont il est venu quémander l’avis. Une insouciance qui renforce son inquiétude, gonfle la peur qui a éclot dans sa poitrine. Le menton a beau être tenu haut, l’indifférence dressée en façade protectrice, l’affection n’en est pas moins réelle, dévorante, ne lui permet aucun réel détachement quand il s’agit de celleux qu’elle aime. Le baiser déposé tout contre sa joue ne suffit pas à souffler ses préoccupations, ne les accroit qu’un peu plus, confirme une nouvelle fois le caractère frivole de Tyrell, incapable d’aviser le danger avant de s’y précipiter pour de bon. Une désinvolture qui la hérisse, qu’elle ne sait manier de la bonne manière. « Il ne s’agit pas toujours de ce que tu veux, ou de ce que tu décides, malheureusement, Tyrell. » Une dernière tentative de le raisonner d’une voix douce est vouée à l’échec à peine la bouche entrouverte, elle le sait. Iels s’entêtent chacun·e à leur façon.

Le regard soucieux persiste, cherche une réponse au fond de ses yeux, un point d’ancrage, un signe qu’il ne s’enfoncera pas sans un regard en arrière dans un précipice sans fond. « Je te souhaite de réussir. Sincèrement. Tu mérites d’être heureux. » Les bonnes intentions viennent seulement adoucir le trait, l’attendrir l’espace d’un instant, émousser les défenses pour enfoncer le clou quand il s’y attendra le moins. « C’est pour cette raison même que je crains que tu ne finisses seulement par souffrir de cette histoire, et mettre en péril ce bonheur. Que feras-tu, quand Dillion ne se pliera pas à ton refus de renoncer à lui ? Que feras-tu, quand elle risquera sa vie pour toi ? » Il aura beau s’efforcer de réussir, elle sait combien le destin est retord, et ne se satisfait pas des bonnes intentions. Il court au devant du désastre et refuse seulement de le conscientiser. « La volonté ne suffit pas, parfois. » Mais il a été forgé par un père impitoyable, a appris à triompher, et triompher seulement, parce que l’erreur n’a jamais été permise. Le réalisme et la modestie n’a jamais eu sa place parmi l’arrogance des Croft et la dévotion à Hel. « Je préférerai que tu sois réaliste, que tu n’entretiennes pas de faux espoirs qui finiront par te blesser. » qu’elle murmure, le regard plongé dans le sien, à répéter encore et toujours ses bonnes intentions, suivre le sens du courant, le caresser dans le sens du poil en espérant que ça suffise pour qu’il prête une oreille attentive à quelques uns de ses avertissements. « Mais j’ai conscience que ce serait trop te demander. Tu n’as jamais su n’en faire qu’à ta tête. C’est ça qui fait ta force aussi. » Le sourire qui répond au jeune homme n’a rien de l’espièglerie insolente de Tyrell, elle s’enfonce seulement dans son assise, l’œil attristé ; elle subit par avance son deuil. Une image de plus vouée à l’interpeller, l’adoucir, parler à son cœur plus qu’à sa raison, puisqu’il ne répondra jamais qu’aux caprices et l’entêtement de son myocarde.

Déceptions en échos, quand elle ne parvient pas à le convaincre d’abandonner ses idées déplacées, quand il n’arrive pas à la mettre entièrement de son côté. L’espoir vain qu’elle puisse se perdre dans l’espoir à ses côtés. Trop pragmatique pour céder aux affres accueillantes du bonheur effleuré. Le gamin ne peut lui en vouloir de la peur qu’il devine doucement, cachée derrière l’indifférence qu’elle manie à la perfection. Elle a trop perdu pour croire encore en ces facéties amoureuses. Lui n’a pas encore perdu l’espérance. Duel qui s’annonce sans fin s’ils restent campés ainsi sur leurs positions, mais Tyrell semble incapable de céder du terrain. Pas cette fois. Pas quand son palpitant s’emballe de contentement alors qu’il pense encore une fois à sa petite blonde impertinente. Merci… Pourtant les armes sont rendues. La belle entre un peu avec lui dans ce monde qu’il cherche à construire et il perd un peu de son arrogance pour lui offrir un regard peiné. La peur au coeur qu’elle puisse avoir raison et qu’il ait un choix à faire un jour. Sera t’il seulement capable d’un jour le faire? Quand il a déjà envie de tout envoyer balader pour elle? Quand il adore déjà la nouvelle relation qu’il est en train de construire avec son frère? Ces questions il ne peut y répondre, il ne veut pas non plus se les poser parce qu’il craint les réponses.

Je ne sais pas. J’ignore ce que je ferais si ces situations se présentent. J’ignore si je pourrais un jour choisir. J’ignore si je finirais par blesser ceux que j’aime en tentant le diable. Je ne veux pas y penser. La franchise cruelle aux lèvres, il a perdu de sa superbe pour montrer l’enfant qui se cache encore derrière ses grands airs. Toute cette angoisse, de ne jamais pouvoir avoir ce qu’il désire est insupportable, il n’en a pas l’habitude et se sent déjà paniqué à l’idée de devoir l’affronter. Et ma faiblesse. Eira je ne sais même pas si j’en suis capable. Il a l’air apeuré l’enfant face à elle, ne ressemble en rien à ce qu’elle peut connaître de lui mais sa sincérité est évidente, tout comme la peur. Je ne sais pas si je peux être à la hauteur de cette ambition. Si je peux avoir les deux. Et ça m’effraie mais… je dois essayer d’être heureux à ma façon.

La certitude dans ses prunelles quand il affirme ces quelques mots lui redonne ses ailes, réaffirme son sourire qui a perdu de son impertinence. Simple faciès doux en réponse à sa sollicitude, pour lui montrer qu’il a vu son inquiétude. Même si pour ça je dois voler trop près du soleil et m’y brûler. Les risques pour lui sont sans importance. Même si son cœur risque d’être brisé de nouveau dans l'histoire, ça ne compte pas. Tant qu’il peut toucher du bout des doigts l’onirique joie. Je t’ai écouté tu sais. Tes inquiétudes sont fondées et ça ne peut que mal finir. Probablement. Ce n’est pas grave si ça finit mal. Je veux juste y goûter aussi tu sais… au bonheur. Même si ça ne dure que cinq minutes. Ses yeux sont partis dans le vague, cessent leur observation de leurs vis à vis pour s’en aller dans ce monde qui n’appartient qu’à lui. Quelques secondes il se perd, se prend à rêver un peu avant de revenir sur terre, les lippes cette fois un peu tristes. Pardonne moi des tracas à venir. J’essaierai de les garder pour moi au maximum. C’est plus fort que lui, il revient à sa nature insouciante en un instant, ramenant l’impertinent à sa place. J’étais venu pour savoir si j’étais amoureux d’elle et… c’est définitif je le suis.