Son histoire, nul ne la connait vraiment. Et pour cause, elle ne cesse d’en livrer diverses versions, toutes plus fantaisistes les unes que les autres. Sa vie n’a jamais été que des histoires et il n’est pas certain qu’elle ait un jour raconté la vraie. Des parents richissimes, traqués par la mafia. Des espions qui travaillaient pour le gouvernement espagnol. Des aventuriers, disparus en mère.

Ou des histoires plus réalistes, plus difficiles à contredire. Des anecdotes sorties de son chapeau, ou pas. Démêler le faux du vrai est une entreprise des plus compliquées et elle n’a jamais cessé d’aimer à créer la confusion, le trouble, jusqu’à peut-être elle-même s’éloigner de sa propre réalité. Ou s’en créer une toute autre.

L’histoire était au fond bien plus pathétique et triste que toutes ces versions imaginaires. L’histoire d’une enfant dont personne n’avait voulu. Pas même ses propres parents. Elle fut dernière d’une fratrie de dix enfants, dans une famille où la pauvreté avait enlevé à l’humanité. Où elle n’était qu’une bouche à nourrir parmi tous les autres. Alors, on finit par s’en débarrasser, se convainquant qu’elle aurait bien plus de chances ailleurs. Un déchet. Une rien du tout. Trop jeune pour pouvoir se débrouiller seule, trop âgée pour espérer qu’on veuille bien l’extirper de cet orphelinat dans lequel on l’avait expédiée. Dix ans déjà, autant dire que les soeurs ne cherchèrent même pas à lui donner le moindre espoir.

Son réconfort, elle le trouva parmi les gamins qui partageaient sa misère. C’était la loi du plus fort, mais on se serrait les coudes. Et surtout, on ne perdait pas son temps avec la tendresse ou la sensiblerie. Le monde ne leur ferait pas cadeau, ils n’avaient le luxe de s’en faire entre eux.

La colère, sa plus vieille compagne. Colère sourde, rage d’avoir été jetée. Fureur contre ces adultes qui l’avaient traitée comme une moins que rien. Puisqu’elle ne pouvait exercer sa vengeance contre ses parents, elle le fit pour les autres. Des petits larcins, pas grand chose. Puis davantage. Irene était jolie. Irene était mignonne. Irene apprit à en jouer, petit ange aux grands yeux noirs et au sourire enjôleur. Et alors qu’elle grandissait, ses talents en firent de même, ainsi que ses ambitions.

Elle ne serait pas ses parents. Elle ne serait pas comme ces autres qu’on lâchait à dix-huit ans hors des murs de l’orphelinat, souvent pour les condamner à une misère plus grande encore. Elle ne serait jamais pauvre. Elle serait toujours libre. Elle serait une autre.

Et parce qu’on lui avait accorder le charme, la beauté, elle en jouerait.

La maturité faisant, sa colère se transforma en… autre chose. Un désir d’exister, du frisson permanent. Elle quitta l’Espagne à la première occasion, s’accrochant aux pas d’une amoureuse de passage, subtilisant, dérobant, crochetant portes et fenêtres au gré de ses envies, portée par les poussées d’adrénaline.

Les histoires d’aventuriers, de voleurs fantasques l’avaient bercé toute sa jeunesse et elle ne voulait rien de moins que cette vie-là. Sans jamais s’attacher, sans rien laisser l’accrocher à quoique ce soit. Au moindre signe de chaines, elle fuyait comme elle était venue, sans rien laisser derrière elle.

Elle parcourut l’Europe durant ces années, sans jamais prendre le temps de laisser pousser la moindre racine. Jusqu’à Senja. Senja qui, contre toute attente eut soudain des airs de maison. Elle ne saurait probablement dire ce qui permit ainsi à ces terres de l’envoûter, jusqu’à la pousser à y rester durant sept longues années. Au point que, même après tout ce temps, elle ne se verrait pas la quitter. Malgré ses bizarreries, ses étrangetés. Ou peut-être est-ce justement cela, qui l’y rattache.


L’association ne lui avait jamais effleuré l’esprit, et pourtant c’est en observant de loin certaines activités que pour la première fois elle l’envisagea. Nécromancienne, Wendigo. Ne leur manquait plus que la Nymphe pour lancer l’affaire. Oh, elle ne leur avait pas vraiment laissé le choix. Ce qu’elle voulait, il le lui fallait.

Electron libre, instable, insaisissable, volatile. Toujours le sourire aux lèvres toujours une idée derrière la tête. Rien n’est jamais sérieux, rien n’est jamais grave. Peu fiable sans doute, peu digne de confiance. Seul l’anime le frisson partagé. Et pourtant la loyauté plus ancrée qu’elle même ne le pense, le coeur qui n’a pas su rester tout à fait de glace face à cette nouvelle famille qu’elle s’est constituée.