Être en colère, ce doit être une norme Hicklass. Gueuler quand un truc ne va pas dans son sens, c’est inné dans cette famille. Mais pas chez Sirius, Sirius a beau élevé la voir, il est bien trop souvent peu écouté et infantilisé à cause de son fauteuil. Et ça, ça le fout dans une rogne noire. Si noire, qu’il se retrouve à bégayer ses insultes, qu’il en perd son souffle. Déjà petit, il arrivait mieux à s’énerver avec ses poings qu’avec les mots. Atlas lui a longtemps fait croire qu’il a été adopté à cause de cela, comme si sa non-capacité à parler plus fort que les autres définissaient ses gènes de Hicklass.
Quoi qu’il en soit, malgré son nom de famille, Sirius n’arrive pas à faire avancer les négociations. Les gérants de la station d’Hiver ne veulent pas réserver les pistes deux matinées par semaine afin que le petit groupe de sportifs handicapés qu’il a constitué s’entraine correctement et en toute sécurité. Si les premiers rendez-vous, ils cachaient leur validisme sous de jolies phrases, aujourd’hui ils n’ont plus de patience pour le politiquement correcte : ils ne feront pas de la charité pour des handicapés, sous-entendant également que si Sirius avait voulu continuer sa pratique il avait cas quitter son fauteuil et recommencer à tenir debout.
Autant vous dire que lorsque Sirius est sorti du rendez-vous, il était rouge de colère et ses yeux étaient brillant de larmes. Ces mêmes gens qui, des années plutôt, le couvraient de compliments lorsqu’il rentrait premier de ses compétitions, lui crachent aujourd’hui dessus. Un texto envoyé, un crochet par son chez lui pour récupérer Chaussette et Sirius se met en route chez l’une de ses grandes sœurs : Lucrezia. Même si cette dernière a été choisie par Freya, Sirius n’a pas réussi à la détester, ayant fait trop de choses pour lui et son bien-être. L’excuse est de lui présenter son nouveau chien, mais Sirius aimerait bien lui glisser quelques mots par rapport à son souci avec la station d’Hiver. Lucre devient un véritable bulldozer si on touche à sa famille, ayant protégé Sirius des remarques des autres à plusieurs reprises.
Priant pour ne pas rester coincé dans le minuscule ascenseur comme la dernière fois, Sirius hisse son chien sur ses genoux, l’habitacle étant tout juste assez grand pour son fauteuil. Heureusement que le sien est un pur actif sinon, semi-actif ou passif, jamais il ne serait entré là-dedans. Chaussette est bien heureux d’être à porté de visage de son maître, le tartinant allégrement de coup de langue tandis que l’ascenseur s’élance péniblement dans les étages jusqu’à celui où loge sa sœur.

Les yeux de Sirius se lèvent au ciel tandis que ses oreilles entendent l’accueil moqueur de sa grande sœur. Il ne comprend pas toujours pourquoi sa Caste est aussi souvent moquée par les autres. Certes, il était le premier à glousser bêtement en voyant un Surnaturel de Freyr chanter ses piières en enlaçant les arbres mais plus les années passent, plus il s’intègre au sein de la Caste et plus il comprend. Notre espèce s’est beaucoup trop éloignée de ses racines et se perd dans de nombreuses péripéties qu’elle imagine vitale. Sirius a encore un long chemin à parcourir pour retrouver ses racines, sa naissance et son éducation faite par des adeptes de Freya n’aidant pas.
- Ouais, je me suis surtout rappelé qu’il y avait une vieille branche dans le coin !
Il lui fait un regard entendu afin qu’elle comprenne bien que c’est elle qu’il désigne comme une vieille branche. Mais c’est avec plaisir que Sirius se redresse pour serrer Lucrezia contre lui. C’est un monstre à câlin, Amour, adorant le contact humain. Chaussette, toujours sur ses genoux, tend le museau pour lécher le menton de Convoitise, n’appréciant pas être ignoré ainsi. Le sourire de Sirius s’illumine, complètement gaga de son chien.
- Regarde ! C’est Chaussette !
Il désigne l’animal d’un mouvement élaboré des mains, sourire idiot sur le visage. Chaussette, ne se sentant pas du tout concerné par la situation, décide de quitter les genoux de son maitre pour déplier son gros corps, s’étirant avec maladresse. Comme s’il connaissait déjà les liens, il se dirige droit vers le canapé de Lucrezia. Quel bon toutou, digne de son maitre.
- Je voulais te voir, ça faisait longtemps je trouve que je ne suis pas venu trainer dans tes pattes.
A vrai dire, Sirius a beau s’apaiser au contacte de la Nature, il n’arrive toujours pas à remettre les pieds dans le quartier qui l’a vu grandir sans qu’il éprouve une haine sans fin pour celles et ceux qui ont pu être choisis par Freya, par cette mère qui pourtant doit l’aimer, ces frères et sœurs qui réussissent dans cette Caste qu’il rêvait d’intégrer. C’est toujours un peu difficile de venir ici. Sirius s’en veut terriblement d’avoir de mauvaises pensées diriger vers Lucrezia, elle qui l’a tant soutenu, qui l’a tant aidé.
Amour s’avance un peu plus dans l’appartement, les yeux un peu fouineurs, essayant d’en savoir un peu plus sur la vie de sa sœur. Elle est toute discrète, Lucrezia, ça change du vacarme que fait Atlas rien qu’en respirant. Une fois de plus, agacé, il lève les yeux au ciel.
- Wesh meuf, un lait-fraise et un bavoir tant que t’y es ? Il lui jette un regard assassin. Je veux bien une bière.
Elle doit bien avoir ça. Sinon, un soda fera bien l’affaire. Marre que tout le monde le prenne pour un bébé. Il est certes l’avant-dernier Hicklass, il est certes complétement adorable mais il sait pertinemment que c’est son handicap qui attire l’infantilisation sur lui. Jamais Lucrezia proposerait de pareilles boissons à un autre de ses potes qui va également sur ses 22 ans. En deux coups de bras, il se retrouve devant la bibliothèque de la jeune Hicklass, toujours curieux de ce que lisent les autres. Un tic volé à son père, père qu’il devrait sûrement aller voir. Ils ne se sont pas revus depuis qu’il lui a donné les clés de la maison de son enfance.
- Tu as déjà mangé ? Je me suis dit qu’on pourra manger un bout ensemble. Pis j'ai besoin de bitcher là.
Il grommelle dans sa barbe, faisant demi-tour pour aller caresser Chaussette. L’animal est bien heureux, le ventre découvert, étendu de tout son long sur le canapé. Lucrezia vient de se faire déposséder.

Sirius regarde sa nièce, sourire niais sur les lèvres et yeux brillants, n’arrivant pas à lui en vouloir de complètement l’ignorer pour couvrir Chaussette de baisers. Si ça avait été sa mère, il aurait fait un scandale. Sans un mot, il sort son téléphone pour immortaliser le moment, la petite qui rit aux éclats tandis que le chien lui lèche le bras. Ô par Freya, qu’il aimerait tant être papa ! Mais en lui interdisant de devenir un de ses fils, elle a aussi mis sous clé ses désirs de fonder une famille. En bon frère (et bon tonton gaga), il envoie son œuvre à Lucre.
- Bah ce serait cool, ça lui apprendra plein de choses et ça lui fera un copain pour la vie ! Il sourit tendrement. Sinon, ma proposition de lui faire monter un terra tient toujours. Un de mes caméléons va bientôt avoir des bébés.
Il laisse son aînée le décoiffer sans trop protester, finissant par lui avouer à demi-mots qu’elle lui manque, que ça fait longtemps. Pourquoi être une famille unie et soudée, cela semble si facile sur le papier mais la réalité est toute autre ? Il aurait aimé organiser des soirées barbecue, des sorties camping ou même tout simplement des soirées cinés. Ses sœurs, maman, sa nièce. Mais à Senja, on ne fait rien comme les autres. La mère est trop occupée à gérer d’une main de fer sa Caste, ses sœurs sont éparpillées ci et là… et lui, dans tout ça, a trop de ressenti pour réussir à passer une soirée viable avec les enfants de la Beauté sans finir par cracher son fiel.
Ca le rend triste, tout cela. Famille dysfonctionnelle, mais pourtant aimante, se serrant les coudes quand il faut. Plongé dans ses pensées, regardant ses deux amours jouer sans réellement les voir, Sirius réagit peu à la petite pique de Lucrezia, se contentant d’un grognement intelligible. Heureusement, il réussit à ne pas se prendre la cannette de soda lancée un peu trop fort dans la tête, la baissant juste à temps, celle-ci s’écrase sur le tapis mais n’explose pas. Chaussette se redresse d’un bon, curieux comme tout, mais se désintéresse vite quand Else revient à l’attaque à coup de gratouilles sur le ventre. Sirius se contente de ramasser l’objet du crime, le déposant sur la table basse. Contrairement aux espérances de son evil de sœur, il ne commet pas l’erreur de l’ouvrir. Surtout pas après un jet pareil. Il rejoint cette dernière dans la cuisine, ouvrant le frigo d’un air inquisiteur. Ah oui, en effet.
- Tu as de la crème ? Je ne vois pas tout, c’est trop haut. Mais on peut faire pates – champi – crème.
Sans plus attendre, son ventre ayant décidé le menu, il se hisse sur la pointe des fesses pour récupérer une planche à découper et un bon couteau. Le voilà déjà à dépiauter les champignons, planche sur les genoux en guise de plan de travail.
- Tu sais, j’ai monté une équipe de ski handi. Des gens du continent viennent pratiquer et tout !
Sirius en est sincèrement fier. Et voir d’autres personnes handicapées moteur comme lui, c’est un véritable boost. Il a mis du temps avant de réellement reprendre le ski : le traumatisme, la honte, le manque de confiance en soi… C’est vrai qu’il ne fera sans doute plus d’aussi belles performances comme avant après tout.
- Les connards de gérants ne veulent pas nous réserver une piste. Manque d’argent, askip, ça leur ferait perdre de la thune. Il a un rictus mauvais, ajoutant : je pense surtout que ce sont de putains de validistes de merde qui estiment qu’un handi doit rester à la maison.
A la maison, loin du regard des autres. Avant son accident, le couple se serait plié en deux pour Sirius. Mais c’était avant qu’il perde l’usage de ses jambes, avant qu’il cesse de rapporter des prix à la station.
- J’ai tellement envie de brûler leur chalet de merde là. J’essaye de voir avec ma Maitresse de Branche si la Caste ne peut pas leur racheter leur merde. C’est chez nous après tout. Pis ils arrêteront peut-être de niquer l’écosystème avec leurs enceintes de merde là.
Sirius rage, coupant agressivement les champignons en lamelle, imaginant peut-être que c’est la tête du vieux con.